Présentation : Le texte qui suit a pour but de montrer le rôle que joue Marie dans la résurrection durant les heures qui s’écoulent de vendredi saint à 15h quand son Fils meurt jusqu’à l’aube du Dimanche quand il vient à sa rencontre. Trop souvent on part du principe que le Christ devait ressusciter de toute les façons. Or, la réalité est plus nuancée. En effet, Marie restée en vie, joue un rôle fondamental, trop souvent oublié. La première partie du texte a été rédigée en premier. Par la suite, à chaque occasion, s’est ajoutée une lumière de plus venant de différentes sources. Jean Khoury

29- Apparition of Jesus to His Mother St Sépulcre

1- Un certain malaise

Durant la semaine sainte nous éprouvons une certaine difficulté à vivre les heures qui s’écoulent à partir de la mort du Sauveur (15H00) et l’aube du Dimanche. En quelque sorte, nous sommes mentalement et spirituellement déjà en attente de la Résurrection. Nous avons déjà la tête dans l’aube du Dimanche ou plus exactement dans la veillée pascale. Et cela semble nous délivrer de ce malaise de ne pas trop savoir que faire dans cet « entre-deux ». Et pourtant ces heures sont très précieuses, elles sont même capitales pour l’histoire du Salut. De fait un enjeu fondamental a lieu durant ces heures… Essayons de le voir et de voir aussi le rôle que Marie y a.

2- Une résurrection « trop facile »

Nous avons aussi la mauvaise habitude de considérer la Résurrection du Seigneur comme un événement qui devait advenir de toute façon. Le Christ l’avait promis ; cela devait donc se réaliser. Il ne dépend que de la promesse et puissance de Dieu. Cela fait que nous ne percevons pas la part de Marie et par la suite la nôtre dans cet événement.

3- Le rôle capital de Marie

De fait, Marie intervient de manière décisive durant ces heures qui s’écoulent de la mort du Sauveur à l’aube du Dimanche de Pâques. Il nous faut donc bien considérer qu’elle a joué.

Son Fils est mort. Il n’est plus là. Et il a annoncé sa résurrection le troisième jour. Elle doit y croire. Contre tous elle doit y croire. Tous les disciples ont succombé à l’incroyance en la résurrec­tion. Les récits des apparitions nous montrent très clairement combien ils étaient incrédules et bien loin d’attendre leur sauveur. Il est bon de les relire en notant cela. Même les saintes femmes, qui ont été plus héroïques durant la passion, ne croyaient pas en la résurrection du Christ: elles préparaient les aromates pour l’embaumer ; on embaume le corps d’un mort et non d’un ressuscité. C’est d’ailleurs à cette intention qu’elles allaient Dimanche matin au tombeau. Marie reste seule chez elle. Ayant reçu dans son cœur la lumière de la promesse de la résurrection et elle a comme responsabilité face à l’incrédulité totale des disciples du Christ de la protéger, de la préserver; elle doit lutter contre tout et croire ; elle doit porter seule l’espérance du monde. Ceci est une vérité que l’on recueille facilement de l’Écriture.

4- Comme à l’Annonciation

Il y a une étrange ressemblance entre ces heures dramatiques et l’Annonciation. A l’Annonciation elle rassemble en elle toute l’espérance de l’humanité et par sa prière, son attente son humilité, sa foi, son désir, elle appelle le Messie, le Désiré des Nations. Toute l’humanité est suspendue à ses lèvres (pensons au fameux Sermon de St. Bernard, voir ci-dessous), le temps s’arrête, toute l’histoire se concentre en un point, on attend Celle qui seule peut, par sa pureté, dire: « Oui ». Elle seule trouva grâce aux yeux de Dieu. « Unique est ma colombe » (Ct 6,9). De même pour le samedi saint, elle seule croit et espère.

Elle seule hâte la résurrection de son fils comme elle a hâté sa venue au monde lors de l’Incarnation. Elle seule est vraiment prête pour l’accueillir ici et là.

Sermon de saint Bernard

« L’ange attend la réponse, il est temps pour lui de retourner vers Dieu qui l’a envoyé. Nous attendons, nous aussi, ô Souveraine, une parole de pitié, nous misérables, écrasés par une sentence de damnation! Voici qu’on vient t’offrir la rançon de notre délivrance, nous serons libérés tout de suite, si tu acceptes. Dans la Parole éternelle, Verbe de Dieu, nous avons été créés tous, et nous voilà condamnés à mort; dans ta brève réponse se trouve le remède qui doit nous ramener à la vie. Cette réponse, ô bonne Vierge, Adam, pitoyable exilé du paradis avec sa postérité de misère, la réclame de toi; Abraham, David t’en supplient, tous les autres saints ancêtres sollicitent cette réponse; tes pères par conséquent, qui eux aussi habitent les sombres pays de la mort; le monde entier dans l’attente se tient prosterné à tes genoux. Et ce n’est pas sans raison, puisque du mot que ta bouche va prononcer dépendent la consolation des malheureux, le rachat des captifs, la libération des condamnés, en un mot: le salut de l’universelle filiation d’Adam, c’est-à-dire le salut de toute ta propre race.

Donne ta réponse, ô Vierge, hâte-toi, ô Souveraine, donne cette réponse que la terre, que les enfers, que les cieux aussi attendent. Le Roi lui-même, Seigneur de tous, est en suspens. Autant il a convoité ta beauté, autant il désire à cette heure le oui de ta réponse, ce oui par lequel il a résolu de sauver le monde. Tu lui as plu par ton silence, tu lui plairas davantage maintenant par ta parole. Ecoute-le: il te crie du haut du ciel: « O belle entre toutes les femmes, fais-moi entendre ta voix! » Si tu lui fais entendre ta voix, il te fera, lui, contempler notre libération. N’est-ce pas ce que tu cherchais en gémissant, ce vers quoi tu soupirais nuit et jour dans tes prières? Eh bien! c’est toi à qui cette promesse fut faite, ou devons-nous en attendre une autre? C’est toi, dis-je, la femme promise, attendue, désirée, toi enfin, en qui ton saint ancêtre Jacob, proche déjà de la mort, espérait la vie éternelle quand il disait: J’attendrai de toi ma délivrance, Seigneur! (Gn 49,18). C’est toi en qui et par qui Dieu lui-même, notre Roi, a depuis toujours préparé l’œuvre du salut au milieu du monde. […] »[1]

5- Le « oui » de Marie

Il n’était pas évident que Dieu devait ou allait s’incarner. Saint Bernard, dans son fameux sermon, nous a montré l’humanité comme suspendue aux lèvres de Maire attendant son « oui » pour que le Sauveur puisse s’incarner. Nous avons trop l’habitude d’oublier le rôle de Marie. Sans le consentement libre et responsable de Marie, Dieu n’aurait pas pu s’incarner. Dieu n’a pas agi tout seul. Comme il y a eu Adam et Eve il a fallu un nouvel Adam et une nouvelle Eve.

Le rôle de Marie ne s’arrête pas là bien sûr. Elle a dû continuer à dire « oui » tous les jours de sa vie jusqu’au moment suprême de la Croix.

Mais il reste encore un grand moment à vivre: celui du samedi saint. Elle seule porte la foi et l’espérance en la résurrection. Mais le point est que, comme à l’Annonciation, il y a un lien entre d’un côté sa persévérance, les actes de foi et d’espérance qu’elle va produire et de l’autre la résurrection du Christ. Si le fil est rompu, si elle cesse de croire, si elle cède aux terribles griffes du Malin, aux voix désespérées des disciples et des saintes femmes, toute l’œuvre du salut tombe dans le néant. Son « oui » à la Résurrection est tout aussi important que son « oui » à l’Incarnation. Elle doit ici aussi le dire de tout son être et ce, contrairement à toutes les apparences et face aux vents contraires. Elle doit se battre « comme une armée rangée en bataille » (Ct 6,4) pour faire parvenir la lumière de la promesse qu’elle a dans son cœur jusqu’à dimanche. Quelle lutte terrible ! Ici aussi, l’humanité est suspendue à ses lèvres et attend son « oui », c’est-à-dire sa lutte décisive qui fera resurgir le Sauveur du cœur de la terre.

6- Notre « oui » en celui de Marie (mieux: son « oui » en nous)

Nous nous posions la question de savoir comment vivre ce temps liturgique du samedi saint. Quel est le sens de ces heures pour nous?

Si Marie a joué son propre rôle, unique et irremplaçable, vis à vis du Christ, n’y a t-il pas un rôle à jouer face au Corps du Christ, c’est-à-dire face à nos frères dans le monde qui, comme un « corps » mort, attendent de ressusciter ? Comme Marie et en elle, ses enfants sont appelés à porter dans leur coeur la promesse de la résurrection du corps du Christ. Avec Marie ils doivent lutter pour conserver intacte la promesse, face à la terrible violence des vents contraires. C’est un rôle vital et capital. Personne n’a vu Marie, personne sur terre n’a soupçonné son rôle dans la résurrection du Christ. De même chaque fils de Marie est caché aux yeux du monde mais il est ces yeux et ce coeur qui espèrent pour lui. Marie lui confie la flamme de l’espérance et il doit la conserver et la faire arriver intacte Dimanche. Rôle caché aux yeux du monde mais capital aux yeux de Dieu.

Il est important, comme pour Marie, de percevoir le lien direct entre ce travail de lutte, de foi et d’espérance et le salut du Corps du Christ aujourd’hui. C’est une grave responsabilité. Elle ne peut être vécue que par de véritables enfants de Marie, transformés en elle. Ils lui deviennent une sorte d’humanité de surcroît où elle vient poursuivre sa mission auprès du Corps de son Fils. Ils prolongent la vie de Marie sur terre. Cela durera tant que dure le Corps du Christ. Marie renouvelle en eux son mystère.

7- Parenthèse sur la Messe

Nous savons que chaque moment de la vie du Seigneur nous appartient car il est Dieu. Chaque moment de sa vie contient en soi une charge infinie, car celui que l’on contemple enfant à Nazareth, ou adulte au désert, marchant sur la mer ou sur la Croix, ressuscité ou montant vers le Père est Dieu. Nous pouvons donc fixer notre regard sur Lui, à n’importe lequel de ces moments, le trouver entier et y puiser infiniment lumière et force. La Messe de son côté, résumant toute la vie du Sauveur, surtout sa prédication et son Sacrifice sur la Croix, fixe donc l’attention essentiellement sur deux moments: sa parole, son enseignement et son sacrifice sur la Croix. C’est ce sacrifice qui est là durant la Messe, il nous est rendu présent, ou nous lui sommes rendus présents. Ainsi, il est appliqué à l’humanité entière. Et ce moment solennel de sa crucifixion, souffrance, offrande, et mort est comme suspendu au dessus du temps et appliqué à tous les temps, à la fois les transcendant et les nourrissant.

Aujourd’hui nous pouvons dire que ce moment est présent tout le temps, quand nous pensons que des Messes se célèbrent partout dans le monde à toutes les heures. Le sacrifice du Christ est rendu présent et ses bienfaits appliqués au monde tout le temps. C’est comme si la Passion s’étendait à toute l’étendue du temps. Comme cela est puissant! Et c’est cela qui fait tourner la terre, et c’est cela qui efface tous les péchés, ou plus exactement qui rend présent ce qui a eu lieu sur la Croix (notre Rédemption), qui applique le pardon et le Salut au monde d’aujourd’hui.

Comme ce grave moment de l’histoire est toujours présent par les Messes, nous pouvons dire de même que ce grave moment de Celle qui a été sa Compagne continue lui aussi à nous être présent.

Marie, par ce qu’elle est, placée dans l’ordre hypostatique[2], a une relation constante, définitive et unique avec le Christ Tête et Corps. Donc nous pouvons dire que cette passion prolongée de Marie est toujours présente à l’humanité d’aujourd’hui comme la Passion du Christ l’est. Ce moment nous appartient aussi et nous sommes appelés à y entrer. Ce moment, comme celui du Christ, est lui aussi placé comme au dessus de l’histoire, la transcendant, y contenant une charge hypostatique, infinie, et en même temps il nourrit chaque instant de l’histoire et y recherche des prolongements temporels en nous, des applications. Son mystère cherche des points d’appuis pour se prolonger, s’actualiser dans le temps et s’appliquer à l’humanité d’aujourd’hui. Ils cherche des personnes en qui venir y prolonger son mystère.

8- « La terre vint au secours de la Femme » (Ap 12,16)

Nous pouvons trouver quelque chose de ce mystère de Marie et de son application en nous dans les versets qui suivent: « Un signe grandiose apparut au ciel: une Femme! […] elle est enceinte et crie dans les douleurs et le travail de l’enfantement. » Il s’agit de l’enfantement du Corps du Christ, des hommes d’aujourd’hui. « Puis un second signe apparut au ciel: un énorme Dragon rouge feu […]. En arrêt devant la Femme en travail, le Dragon s’apprête à dévorer son enfant aussitôt né. » Le Dragon refuse toute résurrection. Il veut l’engloutir.

[…] Se voyant rejeté sur la terre, le Dragon se lança à la poursuite de la Femme, la mère de l’enfant mâle. Mais elle reçut les deux ailes du grand aigle pour voler au désert jusqu’au refuge où loin du Serpent, elle doit être nourrie […]. Le serpent vomit alors de sa gueule comme un fleuve d’eau derrière la Femme pour l’entraîner dans ses flots. Mais la terre vint au secours de la Femme: C’est par sa prière, ses efforts, sa lutte et sa persévérance que la terre est venue au secours de la Femme. En fait c’est dans la mesure où la terre est une sorte d’humanité de surcroît de la Femme qu’elle vient à son secours.

« ouvrant la bouche, elle engloutit le fleuve vomi par la gueule du Dragon. Alors, furieux contre la Femme, le Dragon s’en alla guerroyer contre le reste de ses enfants, ceux qui gardent les commandements de Dieu et possèdent le témoignage de Jésus. » (Ap 12,1..17)

9- Ce mystère chez sainte Thérèse de Jésus

La vie et l’expérience de sainte Thérèse de l’Enfant Jésus se situent dans le même sillage et de ce fait confirment cette vocation fondamentale du Carmel: prolonger le mystère de Marie, surtout dans ce qu’il a de décisif pour le salut du monde. L’intuition profonde de Soeur A.-Th. o.c.d.[3] (et probablement son expérience personnelle) lui ont permis de percevoir comment la vie Mariale de sainte Thérèse s’est articulée. Puis le fait de mettre cette expérience de la transfixion de Marie comme au sommet de la vie spirituelle est extrêmement juste et perspicace. Nous ne pouvons que renvoyer à son travail qui, bien qu’exprimé dans un langage simple, est d’une rare profondeur. Il constitue une grande lumière pour aujourd’hui et pour l’avenir qu’il ne faudra pas laisser sous le boisseau.

Le mystère du Samedi Saint met en relief un point important: le salut des autres dépend du « Oui » de Marie et de même, aujourd’hui, il dépend de nous. Thérèse arrive à cette conclusion par un chemin différent, elle y arrive par cette mystérieuse expérience de l’Enfer[4]. Par cette grâce, elle a compris que quelque chose dépendait d’elle en vue du Salut du monde de son temps. Elle a compris qu’elle pouvait faire quelque chose pour ces âmes qui « se perdent ». C’est ainsi qu’elle est poussée à la fois à mieux vivre sa Règle (la Règle du Carmel) et aussi à fonder des monastères en vue de cela. Il semble que c’est l’essentiel du message dont est porteuse la grâce de la vision de l’Enfer. Mais en fait nous arrivons au même résultat que celui de notre méditation sur le mystère du Samedi Saint.

Donc en fait les deux aspects majeurs de cette méditation elle les a reçus aussi et les a réalisés dans sa vie comme Mère du Carmel Réformé. Seulement il ne lui a pas été donné de l’expliciter.

10- L’épreuve de Marie dans l’Ecriture: Jérémie et Lamentations

Pour mieux entrer dans ce mystère on peut méditer dans l’Ecriture certains passages qui en parlent. Ainsi, le combat de Marie sera notre combat, en elle et par elle. Dans le premier texte, c’est Dieu qui parle au Prophète Jérémie et qui lui dit: « Tu leur diras cette parole » c’est-à-dire, « tu diras au peuple de ma part »: « Que mes yeux versent des larmes, jour et nuit sans tarir, car d’une grande blessure est blessée la vierge fille de mon peuple, d’une plaie très grave. »[5]

– Nous pouvons nous demander: les yeux qui versent des larmes sont les yeux de qui? Les yeux de YHWH ou les yeux de Jérémie? La réponse est simple. Même si ces textes parlent d’événements bien précis et contemporains de Jérémie (c’est le sens littéral), ces textes sont prophétiques, ils concernent le Christ. Car tout prophète incarne un aspect du Christ. Nous pouvons donc entrevoir le Christ dans sa personne. Si YHWH étant esprit ne peut pleurer, s’il parle d’une manière humaine (anthropomorphique), c’est pour faire du Prophète un ami, un proche, capable de comprendre ce qui se passe et donc capable de réagir pour ses contemporains avec tout son être incarné. Et en ce sens il est quelque chose du Christ. Comme dira l’Evangile: « Et commençant par Moïse et parcourant tous les Prophètes, il leur interpréta dans toutes les Ecritures ce qui le concernait« [6]. Comme dans les martyrs nous voyons le Christ venir et vivre sa passion (l’appliquer, en faire mémoire, comme pour chaque Messe) ainsi nous voyons ou entrevoyons le Christ dans la personne du prophète. Donc celui qui parle est YHWH et celui qui peut verser des larmes c’est Jérémie, le Christ. Mais précisément dans ce texte que l’on veut appliquer à Marie voudrait parler d’elle quand le Christ est déjà mort! A qui donc peuvent s’adresser ces paroles? Il est bien possible que ce soit Saint Jean qui, ayant pris la charge de Marie, et qui est là qui regarde, qui essaye de comprendre. Cela ne veut pas dire qu’il comprend réellement. Mais en tous les cas qu’il est là et il regarde. L’épreuve est trop lourde pour qu’il puisse l’approcher. En un certain sens celui qui peut pleurer ici, est finalement un être qui ne peut être contemporain de Marie, car elle est seule et elle doit l’être. C’est l’Ecriture, c’est Dieu qui parle. Elle est seule. Ces textes seront compris ultérieurement et vécus, du moins en partie, par tous ceux qui suivront les traces de Marie; en ce sens celui qui pleure c’est celui ou celle qui participe à la blessure de Marie, qui lui est un prolongement sur terre, dans l’histoire. Mais en tant qu’Eve nouvelle, elle doit vivre l’épreuve seule, sans consolation: Quoi! Elle est assise à l’écart, la Ville populeuse![7] Par son obéissance elle contrebalance l’oeuvre d’Eve. Et Eve était seule!!

– De quelle blessure s’agit-il ici, de quelle plaie? Son Fils est mort! Il n’est plus là. Elle est seule et ne peut être consolée puisque c’est elle qui peut consoler (consolatrice des affligés). Personne ne peut l’aider puisque c’est elle qui aide (auxilium christianorum). La blessure est l’absence de la Vie. Elle est morte vivante. Sa Vie n’est plus là. Son Coeur lui est comme arraché. La blessure est mortelle, « grave » et sa plaie est « grande ». En son esprit et en sa chair elle est blessée: comme Mère humaine qui perd son fils et comme Mère de Dieu qui perd son Dieu. C’est pour cela qu’il s’agit d’une blessure et d’une plaie. L’épreuve est au maximum de ce qu’une fille d’Eve puisse supporter. Et puis elle est seule. Ce qui aggrave le blessure et la plaie c’est qu’elle est seule. L’épreuve est une sorte de tempête qui atteint sa chair et son esprit. Tempête qui veut la renverser. Certes ce qui se passe au niveau de son esprit est plus grave, plus dramatique. Souffrir dans sa chair est une chose. Mais souffrir dans son esprit c’est autre chose.

Ailleurs nous trouvons:

« Sans remède, la peine m’envahit, le coeur me manque. Voici l’appel au secours de la fille de mon peuple, depuis la terre aux vastes étendues: « Yahvé n’est donc plus en Sion? Son Roi n’y est-il plus? […] La moisson est passée, l’été est fini, et nous ne sommes pas sauvés! » De la blessure de la fille de mon peuple je suis blessé, je reste accablé, l’épouvante me tient. N’y a-t-il pas de baume en Galaad? N’y a-t-il aucun médecin? Oui, pourquoi ne fait-elle aucun progrès, la guérison de la fille de mon peuple? Qui changera ma tête en fontaine et mes yeux en source de larmes, que je pleure jour et nuit les tués de la fille de mon peuple! » (Jr 8,18-23)

Et dans les Lamentations nous sommes servis royalement; chaque verset est à commenter:

« Quoi! Elle est assise à l’écart, la Ville populeuse! Elle est devenue comme une veuve, la grande parmi les nations. […] Elle passe des nuits à pleurer et les larmes couvrent ses joues. Pas un qui la console parmi tous ses amants. Tous ses amis l’ont trahie, devenus ses ennemis! Juda est exilée, soumise à l’oppression, à une dure servitude. Elle demeure chez les nations sans trouver de répit. Tous ses poursuivants l’atteignent en des lieux sans issue.« 

Nous pourrions faire une étude rien que des Lamentations.

11- Dans la liturgie Romaine Latine

La liturgie latine n’a que peu d’allusions à cet aspect du Samedi Saint. Mais elles sont précises et intéressantes. Il y a d’abord une allusion dans le verset qui suit la seconde lecture dans l’office des Lectures:

Près de la tombe scellée

les gardes veillent;

et pourquoi, si la vie est vaincue?

Mais en ton coeur, Vierge Marie,

quelle espérance veille?

Comme jadis dans le Temple,

retrouveras-tu, au troisième jour,

celui que tu appelles dans la nuit:

« Lève-toi, bien aimé,

montre-moi ton visage. »

 

R: « Lève-toi, bien-aimé,

montre-nous ton visage. »

« J’ai cherché celui que mon coeur aime,

je l’ai cherché sans le trouver. »

Avant que souffle la brise du jour,

que les ténèbres disparaissent, reviens! 

« Réveille-toi, mon bien-aimé,

voici l’heure de ton bon plaisir. »

Il est donc fait allusion à l’espérance qui veille dans le Coeur de Marie. Ensuite il y a un parallèle avec le recouvrement au Temple et cette recherche angoissée pendant trois jours. Ensuite un parallèle avec la recherche de l’Epouse des Cantiques, recherche douloureuse dans la nuit, recherche de Celui qu’elle aime.

L’autre texte se trouve dans la prière d’intersession de l’office des Laudes du Samedi Saint:

Christ enseveli, ta Mère a veillé dans la foi: fais-nous participer à son espérance.

Ce texte reprend le thème de l’espérance de Marie que l’on a trouvé dans l’Office des Lectures. C’est le coeur du mystère du Samedi Saint.

12- Précisions

La prédication évangélique se résume dans cette promesse du Christ: je vais mourir et ensuite ressusciter le troisième jour. Les évangélistes prennent la peine de rappeler l’annonce de la passion trois fois durant le ministère du Christ et trois fois juste avant le début de la Passion. Ci-dessous les trois passages durant le ministère du Christ :

« Il lui fallait être mis à mort » (I)

Mt 16,21-23 Mc 8,31-33 Lc 9,22
doit être livré…à mort (II) Mt 17,22-23 Mc 9,30-32 Lc 9,44-45
sera crucifié (III) Mt 20,17-19 Mc 10,32-34 Lc 18,31-33

Les paroles de l’annonce de la passion, peuvent être considérées comme étant l’essence même de l’Evangile. C’est la Parole que le Semeur est sorti semer… De fait, tous les miracles de l’Evangile, toute la prédication Evangélique a comme point foyer, comme centre, comme cœur, l’annonce de la passion du Seigneur, de sa mort et de sa résurrection. Tout miracle puise sa force en fait dans la résurrection du Seigneur. Toute parole dans la prédication évangélique puise sa force dans la force du mystère pascal.

Mais cette parole, comme une braise, ne peut être retenue par personne. Ils ne comprirent rien à ce qu’il leur disait. Or c’est l’essentiel de son œuvre!!! Mc 9,32: « Mais ils ne comprenaient pas cette parole et ils craignaient de l’interroger. » Luc met une nuance: Lc 9,45: « Mais ils ne comprenaient pas cette parole; elle leur demeurait voilée pour qu’ils n’en saisissent pas le sens, et ils craignaient de l’interroger sur cette parole. » et encore Luc: Lc 18,34: « Et eux ne saisirent rien de tout cela; cette parole leur demeurait cachée, et ils ne comprenaient pas ce qu’il disait. » Le cœur du message évangélique reste voilé!!! C’est étonnant. Ne parlons pas de la frayeur qui prend ceux qui suivent le Seigneur. Juste avant de leur annoncer la passion, Marc dit: Mc 10,32: « Ils étaient en route, montant à Jérusalem; et Jésus marchait devant eux, et ils étaient dans la stupeur, et ceux qui suivaient étaient effrayés. » Tout ceci nous montre que le grain qui tombe, en terre, le grain de l’annonce évangélique, le grain qu’est le Verbe Eternel Incarné, ne pénètre pas la terre… Il est venu chez les siens et les siens ne l’ont pas accueilli. Ils n’arrivaient pas à l’accueillir… C’est trop différent d’eux… il est d’en haut, et eux sont d’en bas… Donc on peut dire que l’annonce de l’Evangile de toute façon est un fiasco… c’était prévu… Mais seule Marie a pu le recevoir, elle qui est Immaculée… elle qui est pleine de grâce… elle qui est la bonne terre. Elle recueille l’annonce de l’Evangile dans son cœur… elle la garde… et elle doit la faire arriver à la Résurrection pour que celle-ci puisse prendre racine dans l’humanité…

Trop souvent notre manière d’aborder la Résurrection est comme l’aréopage d’Athènes. Nous fuyons la question. Nous ne pouvons rendre compte de la Résurrection du Christ… c’est l’essentiel de la foi; mais personne n’en rend compte de manière profonde… (De même pour l’Assomption qui lui est étroitement liée) Regardons même le catéchisme de l’Eglise catholique, publié en 1992, sur ce point est moins audacieux que celui de Trente. Il n’aborde pas du tout la question des propriétés du corps glorieux du Christ. Et même, cela ne suffit pas… Que me sert-il d’avoir un corps ressuscité à la fin des temps, ou d’avoir la résurrection? Seigneur délivre-nous de la mort éternelle!!! La mort éternelle, la seconde mort, est la plus importante, celle à éviter… En fait c’est la mort de l’âme. En fait la mort du Christ et sa résurrection c’est en fait la mort de l’âme et sa résurrection. Le corps est une affaire secondaire. Car en fait la chute d’Adam et la sortie du paradis est une vraie mort… et la mort est entrée… la mort ici c’est la séparation de l’âme de Dieu et cela est la chose la plus grave… Or sur la Croix, le Christ meurt mais en fait la mort du Christ est en fait d’avoir pris sur lui la séparation de Dieu: « Mon Dieu, mon Dieu pourquoi m’as-tu abandonné? » Etre loin de Dieu, c’est cela la mort. S’il ressuscite ce n’est pas d’abord l’affaire du corps!! C’est avant tout le fait que son âme qui est devenue péché n’est plus péché mais source de renouvellement, pierre angulaire. Ame du Christ, centre de l’univers… c’est toi qui donne la lumière, la force l’Esprit Saint. Ame du Christ c’est toi qui est au centre, c’est toi la source… Tu deviens cela car tu as pris le péché et la seconde mort (c’est à dire la séparation d’avec Dieu) sur toi… Ame du Christ tu ressuscites de cette mort, tu nous as fait franchir l’abîme qui nous séparait de Dieu… car tu nous as pris sur toi.

Nous avons donc trop tendance à concevoir la Résurrection comme un arbre avec ses racines qui volent en l’air. L’arbre avec ses racines est en l’air comme un oiseau éthéré… et on ne sait pas trop en quoi cet arbre nous touche, en quoi la résurrection nous touche. De fait nous ne la saisissons pas de manière « orthodoxe ». La résurrection a besoin d’une terre pour y prendre racine.

Le Seigneur est sorti semer une seule Parole, celle la Résurrection. Une seule terre a pu la faire fructifier: Marie. Elle est la seule qui a cru en la Résurrection. La Résurrection n’est pas d’abord la résurrection des corps, mais celle de l’homme nouveau en nous.

Tout le travail de Marie durant la Passion et surtout après la mort du Christ est d’être cette Terre qui a reçu en elle le Grain… qui est mort… et elle le fait fructifier…et c’est la Résurrection. Celle-ci a besoin d’une terre pour poser les pieds… et c’est Marie. Trop souvent, la Résurrection vue par nous, n’a pas de pieds… ou encore elle n’a pas les pieds sur terre.

Le rôle de Marie dans la résurrection est donc fondamental ! Et cela on ne le voit pas… Jn 12,24: « En vérité, en vérité, je vous le dis, si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il demeure seul; mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruit. »

La Terre (Marie) est là, elle reçoit le Grain de blé: le Verbe Eternel Incarné qui meurt, et qui en mourant promet de ressusciter. L’ayant reçu elle le conserve… le protège, lui fait porter des fruits… Sans cette terre il ne peut y avoir de résurrection!! C’est audacieux de dire cela… mais c’est tout à fait prouvé dans ces quelques lignes qui précèdent… c’est comme à l’Annonciation, le Verbe ne peut s’incarner si Marie ne le reçoit pas… il ne peut ressusciter si elle ne le reçoit pas… s’il n’est pas mort en elle… si elle ne garde pas la parole évangélique par excellence: « je vais ressusciter le troisième jour ».

13- Influence quotidienne du Mystère du Samedi Saint

Nous sommes tous les jours, comme Marie, face à la mort du Corps mystique du Seigneur (l’humanité qui ne le connaît pas… et qui le cherche sans le savoir)… Cela nous rappelle Marie, face à la mort de son fils et qui doit lutter pour garder intacte la parole Evangélique par excellence: « je ressusciterai au troisième jour ». Nous prolongeons l’œuvre de Marie… Ce qui se passe donc de 3 heures pm vendredi jusqu’à l’aube du dimanche est un événement fondamental pour notre foi chrétienne. Durant ces heures dramatiques tout se faisait… tout pouvait basculer encore une fois dans l’abîme… Et Marie, l’Eve nouvelle, joue le rôle principal et elle est seule, seule à se battre… et elle vainc… On ne peut plus passer sous silence ces heures, et leur enjeu théologique profond… il faut les regarder en face, en extraire toute la sève, et surtout les vivre…

« Femme voici ton fils »

Nous avons vu plus haut que le Christ donne la flamme de sa promesse en disant qu’il va ressusciter et que Marie est la seule à la conserver, en combattant et résistant contre tous vents et tempêtes afin de la protéger pour qu’elle ne s’éteigne point. C’est aussi la promesse que son Corps va ressusciter. Son Corps c’est aussi nous tous. Il agit dans le même sens quand il dit à sa mère: « femme, voici ton fils ». Il lui confie toute l’humanité. Il la traite comme Eve nouvelle. Elle prend charge de son Corps, de tous ses enfants et elle les enfante à la vie. Eve nouvelle elle recueille le testament de son fils: « femme, voici ton fils ».

Elle garde précieusement le dépôt: les enfants à enfanter. C’est durant ce temps précieux qu’elle enfante. Trop souvent nous lisons et interprétons le testament du fils à sa mère: « femme voilà ton fils » comme étant quelque chose qui touche le futur. Le texte semble lui même aller dans ce sens quand il dit: et à partir de ce temps il la prit chez lui. Or, ce qu’il faut d’abord voir, c’est que tout s’écroule durant ces heures terribles, de 3 pm jusqu’à l’aube du Dimanche de Pâques! Et le dépôt confié à Marie est menacé de tomber dans l’oubli. S’il lui confie Jean, et en lui nous tous, c’est pour qu’elle garde le dépôt et ce, jusqu’à la résurrection! C’est elle qui en le gardant, fait office de pont précieux et unique, qui permet à la Vie de continuer. Elle la garde dans son cœur durant ces temps de ténèbres et la protège.

Si la Vierge ne prend pas soin de sa responsabilité d’Eve nouvelle de prendre soin de ces enfants que le Christ lui confie, tout bascule dans l’abîme. Si elle attend la Résurrection sans rien faire, elle ne s’acquitte pas de sa responsabilité[8].

14- Eclairage de la Résurrection de Lazare

La résurrection de Lazare éclaire d’une lumière nouvelle ces heures que Marie passe seule à croire et à espérer/attirer la résurrection du Christ. Certes Lazare n’est pas le Christ, mais il est partie du Corps du Christ. Et ce n’est pas avec cette clef que l’on peut entrer plus profondément dans l’éclairage que cet épisode apporte sur Marie.

Certes aussi Marthe et Marie, les protagonistes de l’épisode ne sont pas Marie. Cependant elles éclairent, par les dialogues qui s’instaurent entre elles et le Christ, la situation de Marie.

Marie est seule devant la mort de son Fils! Elle est aussi placée devant la mort de tout le Christ, Tête et Corps! Elle espère la résurrection et du Christ-Tête et du Christ-Corps. C’est dans ce sens que nous avons vu la force éclairante de cet épisode sur notre vie aujourd’hui, comment nous pouvons rejoindre Marie, dans ses moments de totale nuit et de lutte pour la résurrection du Corps du Christ. Nous l’avons dit, tout être humain est Corps du Christ en puissance au moins! Et c’est notre Amour pour le Christ qui fait que nous souhaitons la résurrection de tout être humain en Christ, nous souhaitons qu’il connaisse le Christ! Ainsi nous attendons et espérons la résurrection de la mort spirituelle tout être humain, tout le Corps du Christ. Dans ce sens, ces heures de totale nuit de Marie sont tout actuelles pour nous!

Jean l’Evangéliste prend soin de signaler dès le début de l’épisode de la résurrection Lazare qui sont les personnages! Et il tient à donner une indication bien claire sur Marie, la sœur de Lazare, il dit: « Marie était celle qui oignit le Seigneur de parfum et lui essuya les pieds avec ses cheveux; c’était son frère Lazare qui était malade. » (Jn 11,2) or cette onction n’a lieu qu’après! C’est curieux qu’il fasse cette anticipation et qu’il ne suive pas l’ordre chronologique de révélation des événements! Il agit en celui qui déjà sait de cet acte mystérieux d’onction donné au Seigneur. « Alors Marie, prenant une livre d’un parfum de nard pur, de grand prix, oignit les pieds de Jésus et les essuya avec ses cheveux; et la maison s’emplit de la senteur du parfum. » (Jn 12,3) Il inverse presque les rapports de cause à effet! Marie ne doit pas être connue par son frère Lazare, comme étant la sœur de l’homme que Jésus a ressuscité! Mais Lazare doit être connu par Marie: il est le frère de celle qui l’a oint! Jésus va donner une indication étonnante et qui va être la clef de lecture et de compréhension de la résurrection de Lazare: « Jésus dit alors: « Laisse-la: c’est pour le jour de ma sépulture qu’elle devait garder ce parfum. » (Jn 12,7) L’onction que Marie donne, est l’onction du Corps de Jésus! De fait, on n’enterre que le corps, l’âme et l’esprit sont ailleurs! (la divinité est unie aux trois) Jésus est en train de dire que Marie en réalité fait quelque chose qu’elle devrait faire durant ma sépulture: m’embaumer, me couvrir de son amour! Et c’est le cœur de l’épisode de Lazare et de sa signification pour nous et l’éclairage qu’il porte sur Marie, Marie de la nuit!

Lazare est membre du Christ, Corps du Christ. Marie embaume le Corps du Christ. La mort de Lazare renvoie donc directement à la mort du Christ lui-même, puisque Lazare est partie du Christ! Voilà donc posée la clef d’entrée dans l’épisode de Lazare et c’est Jean qui nous la donne dès l’entrée en matière: « Il y avait un malade, Lazare, de Béthanie, le village de Marie et de sa soeur Marthe. Marie était celle qui oignit le Seigneur de parfum et lui essuya les pieds avec ses cheveux; c’était son frère Lazare qui était malade. » (Jn 11,1-2) Si Lazare symbolise (au sens très fort de « symboliser »: rassembler, mettre ensemble) le Corps du Christ, Marie (et sa sœur Marthe par la suite) devient le personnage principal de l’histoire!

Quel est le lien qui existe entre le Christ et chaque membre de son Corps? C’est un lien d’amour, un Amour plus fort que la mort (Cf. Ct 8,6), un Amour éternel (Jr 31,3): « Seigneur, celui que tu aimes est malade. » (Jn 11,3). Jean insiste à asseoir bien clairement ce point: Jésus aime Lazare, Jésus aime son Corps. La relation qui relie Jésus à Lazare, à chaque membre de son Corps est une relation d’Amour: quand Jésus pleura sur Lazare (émotion forte), « les Juifs dirent alors: « Voyez comme il l’aimait! » » (Jn 11,36) C’est par un Esprit d’Amour que le Verbe est venu sur Terre, c’est par un Esprit d’Amour qu’il a donné sa Vie! « Dieu a tellement aimé le monde qu’il a donné son Fils unique [la mort du Fils], afin que quiconque croit en lui ne se perde pas, mais ait la vie éternelle. » (Jn 3,16) « Nul n’a plus grand amour que celui-ci: donner sa vie pour ses amis. » (Jn 15,13) Lazare est l’Ami de Jésus![9] Il va lui donner sa Vie, il va mourir pour lui communiquer la Vie Eternelle, le rendre participant de la Nature Divine!

De fait l’épisode de la résurrection de Lazare éclaire de manière profonde le mystère de la Croix et de l’échange qui y a lieu: le Christ prend notre mort et nous donne la Vie! Voilà ce que le Christ réalise sur la Croix: « Notre ami Lazare repose, leur dit-il; mais je vais aller le réveiller. » (Jn 11,11) Il réveille l’être humain à la Vie divine! Notre mort est en fait une mort spirituelle, une séparation de Dieu. C’est cette mort qui est la plus dangereuse: « la lumière luit dans les ténèbres et les ténèbres ne l’ont pas saisie! » (Jn 1,5) ce qu’il faut plus pleurer et craindre c’est la seconde mort, c’est pour cela peut-être que le Seigneur appelle la mort du corps un « sommeil ». Appeler une personne des ténèbres à la Lumière Divine est infiniment plus grand que créer le Monde, infiniment plus grand que ressusciter à la vie corporelle un être humain!

Il y a la mort du corps (séparation entre le corps d’un côté et l’âme et l’esprit de l’autre) et la séparation de Dieu, qui une mort bien plus dangereuse! « Je connais ta conduite; tu passes pour vivant, mais tu es mort«  (Ap 3,1) Tu es mort aux yeux de Dieu, tu es sans Vie divine, tu es séparé de Dieu. « Heureux et saint celui qui participe à la première résurrection! La seconde mort n’a pas pouvoir sur eux, mais ils seront prêtres de Dieu et du Christ avec qui ils régneront mille années. » (Ap 20,6) La seconde mort est la mort spirituelle!

Mais les disciples n’avaient pas compris que Lazare était mort avec son corps, puisque le Christ avait utilisé la parole: sommeil. Alors il leur dit clairement: « Lazare est mort, et je me réjouis pour vous de n’avoir pas été là-bas, afin que vous croyiez. » (Jn 11,15) Ce qui est percutant c’est que le Christ se réjouit! Il semble être déjà vainqueur de l’obstacle, sûr de lui-même! Il est plus difficile d’appeler à la vie Divine un être humain mort spirituellement que de ressusciter son corps! Il redit sa perspective: « Cette maladie ne mène pas à la mort, elle est pour la gloire de Dieu: afin que le Fils de Dieu soit glorifié par elle. » (Jn 11,4) Pourtant Lazare va bien mourir! Jésus entrevoit déjà sa résurrection! Il y a là une leçon que Jésus veut nous donner!

Reprenons le couple d’affirmations qui expliquent tout l’épisode: « je me réjouis pour vous… afin que vous croyiez! » « afin que le Fils de Dieu soit glorifié par elle ». Le but vers lequel tend l’épisode est un but central dans l’Evangile de saint Jean: amener à la Foi. La Foi est cette attitude intérieure qui ouvre l’être humain au Fils de Dieu, et lui permet de recevoir l’Esprit Saint, la Vie éternelle! Jésus le dit: « Je suis la Résurrection »! il est la Vie divine, mais aussi il est Celui qui y porte, qui y réveille, qui y fait naître! Il appelle à la Vie Divine!

Or parvenir à la Foi ne peut advenir que « par Marie », Jean nous l’a montré à Cana: Marie demande la Vie Divine, elle veut que les Convives, les Convives des Noces entre l’Epoux et l’Epouse (son Corps), aient le Vin du Royaume, la Vie Divine, l’Esprit Saint. Et c’est Marie, la Nouvelle Eve, « Ishsha », la Femme tirée de l’homme « Ish » qui obtient le Vin nouveau: « autant qu’il vous dira, faites » (Jn 2).   Nous sommes donc placés constamment par saint Jean, dans tous les événements de son Evangile dans cette tension: autant que le Christ nous dira de faire, nous le ferons! Nous remplirons 6 jarres de 40 litres environ chacune, nous les remplirons d’eau, et pourtant le but est d’obtenir Dieu! Ce qui est chair est chair et ce qui est Esprit est Esprit! Nous remplissons les jarres d’eau, dans un effort de Foi, nous semblons agir selon la chair, mais sur ordre du Christ: « Jésus leur dit: « Les enfants, vous n’avez pas du poisson? » Ils lui répondirent: « Non! » Il leur dit: « Jetez le filet à droite du bateau et vous trouverez. » Ils le jetèrent donc et ils n’avaient plus la force de le tirer, tant il était plein de poissons. » (Jn 21,5-6)

Mais ce courage de la Foi est motivé par Celle qui le connaît, celle qui est « tirée de lui », la Femme! C’est elle qui « obtient » la Vie Divine, le Vin nouveau! « autant qu’il vous dira, faites-le » (Jn 2).

Pour bien montrer qu’il est placé sur un autre plan, celui de la Vie divine et non sur la vie du corps, saint Jean nous insère cette affirmation étrange sur la bouche d’un des Disciples: « Alors Thomas, appelé Didyme, dit aux autres disciples: « Allons, nous aussi, pour mourir avec lui! » » (Jn 11,16) « mourir avec Lazare ». Pour naître à la Vie Divine, il faut mourir d’abord à la vie dans les ténèbres! Pour participer à la résurrection du Christ, il est nécessaire de participer à sa Mort! « allons, nous aussi, pour mourir avec lui » De même que Lazare est mort et que grâce à l’Amour du Christ il sera appelé à la Vie Divine, le chemin nous est indiqué: à nous de le suivre!

Mais là n’est pas la question pour le moment, car nous cherchons à mieux pénétrer Marie durant ces heures de mort et ce qu’elle fait!

Les deux sœurs de Lazare vont donc éclairer l’action de Marie durant le samedi saint!

Voyons le premier dialogue entre Marthe et Jésus:

« Marthe dit à Jésus: « Seigneur, si tu avais été ici, mon frère ne serait pas mort. Mais maintenant encore, je sais que tout ce que tu demanderas à Dieu, Dieu te l’accordera. » Jésus lui dit: « Ton frère ressuscitera » – « Je sais, dit Marthe, qu’il ressuscitera à la résurrection, au dernier jour. » Jésus lui dit: « Je suis la résurrection. Qui croit en moi, même s’il meurt, vivra; et quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais. Le crois-tu? » Elle lui dit: « Oui, Seigneur, je crois que tu es le Christ, le Fils de Dieu, qui vient dans le monde. » » (Jn 11,21-27) Il y a croissance dans la connaissance de Jésus: nous commençons par savoir qu’il est un juste: Dieu l’écoute: « tout ce que tu demanderas à Dieu, Dieu te l’accordera ». Ensuite, nous passons à une affirmation bien plus forte, et c’est Jésus qui se révèle à nous: « Je suis la Résurrection » Je n’ai pas besoin d’avoir recours à Dieu, je suis Dieu, Dieu dans ce qu’il a de plus personnel: je suis capable de donner la Vie, d’appeler un mort à la Vie! Elle montre d’avoir saisit qu’il va plus loin: « je crois que tu es le Fils de Dieu »!

Cela éclaire tout l’effort de Marie durant ces heures sombres qui la séparent de la Résurrection: il a promis qu’il va ressusciter, mais plus encore: il est l’Immortel, il est Dieu, il est la Résurrection! Alors, s’il est mort, que faire? Est-il vraiment mort? Il va ressusciter par sa propre Force, puisqu’il est la Résurrection! Voilà la réalité à laquelle s’attache Marie. Elle perce de sa pureté l’épaisseur de la Mort du Christ, son Fils, pour atteindre sa Divinité: « je suis Dieu, je suis la Résurrection, je suis le Dieu Immortel qui est venu dans ce monde pour vous appeler à la Vie ». Je prends votre mort, mais elle n’a pas le dernier mot, c’est moi qui ai le dernier mot! Voilà donc ce à quoi s’attache Marie Mère de Jésus, face à son Corps mort!

« Marthe, la soeur du mort, lui dit: « Seigneur, il sent déjà: c’est le quatrième jour. » Jésus lui dit: « Ne t’ai-je pas dit que si tu crois, tu verras la gloire de Dieu? » » (Jn 11,39-40) Voilà donc la grande affirmation: « si tu crois, tu verras la gloire de Dieu ». Nous voyons bien ici la nécessité de faire l’acte de foi, la nécessité de faire l’effort matériel de la Foi, nous voyons la nécessité de faire cette œuvre d’une grande absurdité qu’est le fait de remplir 6 jarres de 40 litres environs chacune d’eau! Nous attendons la Vie (du Vin) et nous produisons la mort (« allons mourir avec lui »), nous produisons de l’eau!

Mais face à notre effort de Foi, face à cette partie du Pont (de notre côté) que nous tendons dans le vide de la nuit, le Christ trouve la terre ferme où ressusciter, où planter la Semence de la Vie Divine! Le Christ a besoin de notre effort de Foi! Il est comme cette Terre Ferme qui lui permet de poser les Pieds Divins, la Vie Divine.

Cependant, nous ne sommes pas au bout de nos peines! Il n’y a que Marie, Mère de Jésus, qui soit capable de réaliser un tel défi, qui soit pure (la « Femme », « tirée de » Jésus), et dont la pureté est capable d’atteindre la Divinité et d’obtenir ainsi la Résurrection! « si tu crois, tu verras la gloire de Dieu »! Marie est capable de croire! Et ce n’est qu’en deuxième temps qu’elle nous transmet sa Foi! Marie est capable de percer l’épaisseur de la Nuit et d’obtenir la Résurrection, comme elle a obtenu l’Incarnation!

Nous te saluons Ô « Pleine-de-grâce », toi qui est « bâtie » « à partir de la côte » du Nouvel Adam, endormi sur le bois de la Croix! Nous te saluons, Ô toi seule qui est capable de croire et d’engendrer/susciter en nous la Foi en Celui qui est la Résurrection! Nous te saluons et c’est à ta parole que nous remplissons les Jarres d’eau, sachant, comme tu nous le dis, et sur ta parole, qu’elles seront transformées en Vin Nouveau, en Vie Divine!

Nous te saluons Ô toi qui as pu croire pour nous tous et qui as vu la Résurrection du Christ! C’est toi qui l’as, par ta Foi, attiré du séjour des Morts!

Oui, en vérité, tu es la seule en qui se sont accomplies ces paroles: « si tu crois, tu verras la gloire de Dieu » Elle est seule la Colombe! Elle est unique! C’est par elle que nous recevons la Résurrection! C’est par elle que nous luttons désormais, assurés d’obtenir la Victoire.

C’est ainsi que Lazare notre Ami, le Corps du Christ, aujourd’hui mort, puant, ressuscite! Nous nous accrochons à ta Foi Ô Marie, toi qui es notre rempart!

« Arrivée là où était Jésus, Marie, en le voyant, tomba à ses pieds et lui dit: « Seigneur, si tu avais été ici, mon frère ne serait pas mort! » Lorsqu’il la vit pleurer, et pleurer aussi les Juifs qui l’avaient accompagnée, Jésus frémit en son esprit et se troubla. Il dit: « Où l’avez-vous mis? » Ils lui dirent: « Seigneur, viens et vois. » Jésus pleura. Les Juifs dirent alors: « Voyez comme il l’aimait! » Mais quelques-uns d’entre eux dirent: « Ne pouvait-il pas, lui qui a ouvert les yeux de l’aveugle, faire aussi que celui-ci ne mourût pas? » Alors Jésus, frémissant à nouveau en lui-même, se rend au tombeau. » (Jn 11,32-38)

Jésus a pleuré la mort de son Ami Lazare! Marie pleure la mort de son Fils! Un trouble profond secoue le Christ face à la Mort, à la séparation de Dieu! Et il y a de quoi, car c’est la seule réalité qui peut troubler et secouer profondément! Un trouble profond secoue certainement Marie, voyant son Fils mort! Elle pleure elle aussi sa Mort! Jésus dit: « Père, je te rends grâces de m’avoir écouté. Je savais que tu m’écoutes toujours » (Jn 11,42) On peut entendre Marie dire:

« Fils, je te rends grâces de m’avoir écouté,

car toi, Verbe Eternel, tu ne meurs pas,

c’est toi l’Auteur de ta propre Résurrection,

je savais que tu m’écoutes toujours!

Lève-toi Jésus, lève-toi mon Fils,

lève-toi pour ta Mère,

et pour l’humanité entière,

moi, Marie de Nazareth, je sais que tu es la Résurrection,

tu es notre Résurrection,

sors-nous[10] des Ténèbres! »

Résumons: Marie, pleure elle aussi Lazare – c’est  à dire le Corps du Christ – et appelle de tout son être la Résurrection. De sa pureté et de sa Charité Divine, elle perce les ténèbres qui l’entourent, et atteint par la Flèche de sa Foi et de sa Virile Charité le Cœur de Dieu, et nous obtient la Résurrection!

15- « je vous fais remonter de vos tombeaux » (Ez 37)

Le passage du livre d’Ezéchiel sur la résurrection des ossements desséchés est lui aussi très éclairant pour ce qui est de Marie qui se trouve dans la nuit de la mort.

« 1 La main de Yahvé fut sur moi, il m’emmena par l’esprit de Yahvé, et il me déposa au milieu de la vallée, une vallée pleine d’ossements [voilà où Marie se trouve durant ces heures terribles]. 2 Il me la fit parcourir, parmi eux, en tous sens [Marie expérimente la mort dans toutes ses dimensions et dans toutes ses conséquences! Le manque de Foi de la part de tous, la misère humaine incapable de croire. Elle expérimente de près l’absence de Foi.]. Or les ossements étaient très nombreux sur le sol de la vallée, et ils étaient complètement desséchés [il s’agit bien d’une vérité sérieuse et dramatique: ils sont vraiment desséchés les humains, incapables de Vie Divine, incapables de poser un Acte de Foi en Celui qui est la Résurrection]. 3 Il me dit: « Fils d’homme, ces ossements vivront-ils? » Je dis: « Seigneur Yahvé, c’est toi qui le sais. » 4 Il me dit: « Prophétise sur ces ossements [voilà la mission mystérieuse de Marie et de tous ceux qui désormais la suivent aujourd’hui, en elle et parelle. La mission: celle de prophétiser, de dire, de prononcer intérieurement la Prophétie, de donner un espace dans leur cœur à la Résurrection du Corps mort du Seigneur.]. Tu leur diras: « Ossements desséchés, écoutez la parole de Yahvé«  [C’est Dieu qui a promis, c’est Jésus qui a promis en disant qu’il ressuscitera, qu’il est notre Résurrection.  Nous nous appuyons donc sur ses Paroles. C’est par sa Parole que Marie agit: qu’il nous soit fait selon ta Parole.].

5 « Ainsi parle le Seigneur Yahvé à ces ossements: Voici que je vais faire entrer en vous l’esprit et vous vivrez. 6 Je mettrai sur vous des nerfs, je ferai pousser sur vous de la chair, je tendrai sur vous de la peau, je vous donnerai un esprit et vous vivrez, et vous saurez que je suis Yahvé. »

7 Je prophétisai, comme j’en avais reçu l’ordre.

Or il se fit un bruit au moment où je prophétisais; il y eut un frémissement et les os se rapprochèrent les uns des autres. 8 Je regardai: ils étaient recouverts de nerfs, la chair avait poussé et la peau s’était tendue par-dessus, mais il n’y avait pas d’esprit en eux. 9 Il me dit: « Prophétise à l’esprit, prophétise, fils d’homme. Tu diras à l’esprit: ainsi parle le Seigneur Yahvé. Viens des quatre vents, esprit, souffle sur ces morts, et qu’ils vivent. » 10 Je prophétisai comme il m’en avait donné l’ordre, et l’esprit vint en eux, ils reprirent vie et se mirent debout sur leurs pieds: grande, immense armée.

11 Alors il me dit: Fils d’homme, ces ossements, c’est toute la Maison d’Israël [Marie porte toute l’humanité dans son acte de Foi qui nous vaut la Résurrection]. Les voilà qui disent: « Nos os sont desséchés, notre espérance est détruite, c’en est fait de nous. » [Marie est bien la Mère de notre espérance, celle qui nous l’infuse! Elle nous infuse sa propre Espérance!]

12 C’est pourquoi, prophétise. Tu leur diras: Ainsi parle le Seigneur Yahvé. Voici que j’ouvre vos tombeaux; je vais vous faire remonter de vos tombeaux [De fait, la Résurrection du Corps du Christ est notre Résurrection, sortant du Tombeau, il nous sort de nos tombeaux! De fait nous célébrons notre propre résurrection! Avec Lui nous ressuscitons à la Vie en Dieu.], mon peuple, et je vous ramènerai sur le sol d’Israël. 13 Vous saurez que je suis Yahvé, lorsque j’ouvrirai vos tombeaux et que je vous ferai remonter de vos tombeaux, mon peuple. 14 Je mettrai mon Esprit en vous et vous vivrez, et je vous installerai sur votre sol, et vous saurez que moi, Yahvé, j’ai parlé et je fais, oracle de Yahvé. » (Ez 37,1-13)

Voilà donc la vision que Marie a: l’humanité toute entière gît dans les ténèbres du désespoir, gît des le pays des ténèbres et de l’ombre de la mort! Voilà ce qu’elle voit, et elle constate encore une fois que personne n’arrive à percer ces ténèbres! Elle prend conscience qu’elle est la Femme, Ishsha, celle qui pro-vient de l’homme, Ish, Jésus, et qu’étant ainsi « os de ses os » et « chair de sa chair » elle est porteuse de la Lumière et elle est capable par la Lumière de percer les ténèbres et de rejoindre la Lumière et de la faire se lever sur l’humanité!

Au spectacle d’une immense désolation elle offre sa Foi, sa pureté amoureuse qui lui permet d’atteindre Dieu, et de sortir le Corps du Christ du Tombeau: « Lazare sors »! Elle est capable d’adresser la Parole à Dieu, car il a mis en Elle sa Parole et elle la garde intacte. Il lui a dit qu’il est la Résurrection, qu’il ressuscitera avec son Corps, elle lui redonne la même Parole: tu l’as, alors tu le feras, je le crois!

16- Entrer dans l’Arche de Noé

Saint Luc distingue bien entre la destruction de  Jérusalem et le retour du Fils de l’homme (sa venue dans son Jour). Dans son « Discours eschatologique » il choisit de ne retenir que la destruction de Jérusalem, et il aborde la question du retour du Fils de l’homme dans une autre section de son Evangile: Lc 17,20-36. Par contre Matthieu et Marc, dans leurs discours eschatologiques parlent des deux événements en même temps. Ce choix de Luc de distinguer les deux aspects et de les séparer est frappant.

S’ajoutent à ce choix deux remarques: 1- une introductive: il parle à des Pharisiens (Lc 17,20-21) puis d’adresse à ses Disciples (Lc 17,22) 2- une autre remarque consister à souligner l’allusion que le Seigneur fait dans Luc à sa Passion et ce, en plein coeur du discours sur le Jour du Fils de l’homme: « Mais il faut d’abord qu’il souffre beaucoup et qu’il soit rejeté par cette génération. » (Lc 17,25). Ceci nous pousse à comprendre de manière très différente le sens de la « venue du Fils de l’homme », de son « Jour »: ils ne sont plus des événements futurs lointains, touchant la fin des temps, mais une manière de décrire un événement plus proche: la Passion même du Seigneur. S’il parle de sa Passion c’est que le fameux « Jour » dont il est question est plutôt « le Jour de sa Résurrection ». Et le Déluge (de Noé), le Feu et le Souffre (de Lot) sont en fait des manières de parler de sa Passion. Cela lui donne une tonalité eschatologique inattendue! Mais sa Passion est un « point final » pour la génération qui lui est contemporaine, qui est témoin du Christ. C’est cette génération à laquelle il est prêcher, dont il a attendu, pour trois ans, des fruits. N’oublions pas que le Salut que le Christ est venu offrir est d’abord et avant tout adressé aux gens qui l’ont vu (les Juifs d’abord), à la génération contemporaine de la Prédication du Christ. Et qui est contemporain de la Passion, surtout celui qui croit au Christ, la vit comme la fin d’un rêve, puisque personne ne connaissait encore la Résurrection: « Comme ils descendaient de la montagne, il leur ordonna de ne raconter à personne ce qu’ils avaient vu, si ce n’est quand le Fils de l’homme serait ressuscité d’entre les morts. Ils gardèrent la recommandation, tout en se demandant entre eux ce que signifiait « ressusciter d’entre les morts ». » (Mc 9,9-10) Ce n’est pas pour rien que Pierre s’oppose à l’idée que le Christ meurt. Il n’y avait rien après la mort, c’était le point final! Jésus avait beau parler de Résurrection, la cerveau de Pierre n’enregistrait pas, car la notion, et la réalité ne signifiaient pas grand chose pour lui: « A dater de ce jour, Jésus commença de montrer à ses disciples qu’il lui fallait s’en aller à Jérusalem, y souffrir beaucoup de la part des anciens, des grands prêtres et des scribes, être tué et, le troisième jour, ressusciter. 22 Pierre, le tirant à lui, se mit à le morigéner en disant: « Dieu t’en préserve, Seigneur! Non, cela ne t’arrivera point! » » (Mt 16, 22)

Voyons donc de plus près comment le Christ parle de sa Passion. Il évoque deux événements, celui de Noé et celui de Lot. Voyons d’abord celui de Noé:

« Et comme il advint aux jours de Noé, ainsi en sera-t-il encore aux jours du Fils de l’homme. On mangeait, on buvait, on prenait femme ou mari, jusqu’au jour où Noé entra dans l’arche; et vint le déluge, qui les fit tous périr. » (Lc 17,26-27) La Passion est présentée aux disciples comme un événement violent: un déluge tellement violent qu’il fait tour périr. Ailleurs il dira: « vous serez tous scandalisé à cause de moi », aussi « c’est l’heure du Prince des Ténèbres », et : « Satan a demandé à vous passer au crible », « je frapperait le Pasteur et les Brebis seront dispersées » et encore: « si ces jours n’étaient pas écourtés, les élus auraient péri »[11]. Nous sous-estimons trop souvent la violence inouïe de la Passion, la concentration de mal, de violence, et de « destruction » qui a lieu durant ces heures et l’impact de cette violence destructrice inouïe sur les disciples du Christ! Ce phénomène destructeur rase tout à son passage! Les exemples pris par la Seigneur pour illustrer la radicalité de la destruction sont parlant: le déluge et la destruction de Sodome et de Gomorrhe. Paradoxalement, cette destruction est inévitable, et il faut prendre les moyens qu’il nous offre pour y échapper. Et Noé et Lot prirent des moyens! L’un construisit une Arche et ce fut le seul lieu sûr, et l’autre adopta la fuite, l’éloignement radical d’un lieu corrompu, sans même regarder derrière soi.

Le Seigneur demande aux disciples de fuir; il leur demande de le précéder en Galilée[12], il leur demande de rester réunis à Jérusalem, autour de Marie[13], attendant la Force de l’Esprit Saint qu’il leur enverra[14], il assure à Pierre qu’il a prié pour lui, lui demandant de soutenir ses frères[15]. Voilà, grosso modo les informations que nous avons!

Cependant, si nous revenons à nouveau sur l’exemple de Noé, nous pourrions y trouver une porte ouverte vers un éclairage plus profond! « Et comme il advint aux jours de Noé, ainsi en sera-t-il encore aux jours du Fils de l’homme. On mangeait, on buvait, on prenait femme ou mari, jusqu’au jour où Noé entra dans l’Arche; et vint le déluge, qui les fit tous périr. » (Lc 17,26-27) Noé « entre dans l’Arche »! Noé symbolise qui? Et à qui renvoie l’Arche? « En vérité, en vérité, je vous le dis, si le Grain de blé tombé en Terre ne meurt pas, il demeure seul; mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruit. » (Jn 12,24) « Génération mauvaise et adultère! elle réclame un signe, et de signe, il ne lui sera donné que le signe du prophète Jonas. De même, en effet, que Jonas fut dans le ventre du monstre marin durant trois jours et trois nuits, de même le Fils de l’homme sera dans le sein de la terre durant trois jours et trois nuits. » (Mt 12,39-40) C’est trop facile de ne voir en la terre qui reçoit le Seigneur que la terre physique! En fait la véritable Terre qui reçoit le Seigneur est le cœur de Marie! Elle le porte durant ces trois jours! Quel Mystère! Elle est le seul lieu d’accueil pour Lui. Elle l’accueille, le garde, et veille en attendant la Résurrection. Tout, en dehors de Marie, est « ténèbres », « déluge », « feu et souffre ». Qui peut comprendre cela? Qui peut comprendre que le seul lieu sûr de la création est Marie. Elle est à la fois le lieu qui accueille le Grain de blé qui tombe en Elle, et elle est l’Arche qui recueille les brebis dispersées et leur offre sa foi et son espérance en la Résurrection! Elle est le seul lieu où l’on peut échapper au déluge, au feu et au souffre. Qui peut comprendre cela?!

Ce qui est étonnant c’est que la partie de texte qui suit le passage de Luc sur la Venue du Jour terrible du Fils de l’homme est identique à celui de Jean où il évoque le Grain de blé. Voici les deux passages:

Luc

Jean

 « En ce Jour-là, que celui qui sera sur la terrasse et aura ses affaires dans la maison, ne descende pas les prendre et, pareillement, que celui qui sera aux champs ne retourne pas en arrière. 32 Rappelez-vous la femme de Lot. 33 Qui cherchera à épargner sa vie la perdra, et qui la perdra la sauvegardera. 34 Je vous le dis: en cette nuit-là, deux seront sur un même lit: l’un sera pris et l’autre laissé; 35 deux femmes seront à moudre ensemble: l’une sera prise et l’autre laissée. 36 Prenant alors la parole, ils lui disent: « Où, Seigneur? » Il leur dit: « Où sera le corps, là aussi les vautours se rassembleront. » » (Lc 17,31-36)  « Voici venue l’heure où doit être glorifié le Fils de l’homme. 24 En vérité, en vérité, je vous le dis, si le Grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il demeure seul; mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruit. 25 Qui aime sa vie la perd; et qui hait sa vie en ce monde la conservera en vie éternelle. » (Jn 12,23-25)

Revenons: il nous faut donc entrer dans l’Arche que le Christ a construite, la Femme, Eve Nouvelle, Mère de chacun de nous, celle qu’il nous donne sur la Croix comme Mère, Arche, protection, afin de pouvoir traverser ces instants terribles. Le fait que tout être humain doit inévitablement et obligatoirement passer par la destruction totale est présenté comme une vérité incontournable! Et ce fait est la Passion du Christ, qui est donc vue comme Feu terrible, qui ne laisse rien intact à son passage. Qui peut supporter ce Feu, son intensité, sa capacité destructrice? Nous les sous-estimons! Pourtant ce que vécurent les disciples du Christ est vraiment profondément terrible! Ils ont tout perdu, ils ont perdu leur Tout, le Christ: il ne s’est pas défendu, il est apparu non seulement comme faible, mais il est allé direct vers la mort! Tout leur Rêve de trois ans et demi s’est évanoui en l’espace d’à peine 24 heures. Quel écrasement ils ont vécu!

L’épreuve est donc inévitable, le passage par Ce Feu est obligatoire pour tout être humain! À nous donc d’aller chercher refuge en Celle qu’il nous offre comme Arche quand il est sur la Croix (« voici ta Mère »), justement pour « entrer en Elle » (« et à partir de cet instant il la pris chez lui »), et être protégés par les vagues de la mer (comme Jonas), par le déluge (comme Noé), par le feu et le souffre (comme Lot). Le passage par la Mort et la Résurrection du Christ est inévitable! Mais qui peut l’endurer et sortir de l’autre côté indemne? Personne! Seule Marie, Arche sûre, est capable de nous faire passer par l’abîme qui nous sépare du Ressuscité.

Entrons donc dans l’Arche.

« Et comme il advint aux jours de Noé, ainsi en sera-t-il encore aux [trois] jours du Fils de l’homme. On mangeait, on buvait, on prenait femme ou mari, jusqu’au jour où Noé entra dans l’Arche; et vint le déluge, qui les fit tous périr. » (Lc 17,26-27)

Nous croyons qu’il fut possible de sortir indemne de cette Épreuve majeure. Or tous les récits de la Résurrection montrent que les Apôtres ont tous failli! Personne n’a pu croire en la Résurrection. Certes ceci n’est pas présenté comme une faillite, mais pourtant ça l’est! Ne pas être capable de croire en la seule chose qui importe c’est vraiment une faillite en bonne et due forme.

Pour passer cette épreuve, même si cela semble trop tard après, il est important d’aller vers Marie, d’entrer dans l’Arche, de prendre racine en elle, afin de puiser de sa Foi à Elle. C’est le seul moyen de « digérer » ces événements, et de s’éveiller à la Résurrection et de s’approcher du Ressuscité, de le retrouver. Sans cela, il y a comme un abîme infranchissable qui est creusé entre tout être humain et la Résurrection.

17- “Ne pleure pas!”

“Jésus se rendait dans une ville appelée Naïm. Ses disciples faisaient route avec lui, ainsi qu’une grande foule. Il arriva près de la porte de la ville au moment où l’on transportait un mort pour l’enterrer; c’était un fils unique, et sa mère était veuve. Une foule considérable accompagnait cette femme. En la voyant, le Seigneur fut saisi de pitié pour elle, et lui dit : « Ne pleure pas ». Il s’avança et toucha la civière; les porteurs s’arrêtèrent, et Jésus dit : « Jeune homme, je te l’ordonne, lève-toi. » Alors le mort se redressa, s’assit et se mit à parler. Et Jésus le rendit à sa mère.

La crainte s’empara de tous, et ils rendaient gloire à Dieu : « Un grand prophète s’est levé parmi nous, et Dieu a visité son peuple. » Et cette parole se répandit dans toute la Judée et dans les pays voisins.” (Lc 7,11-17)

Naïn est proche de Nazareth, en Galilée. Marie !

Pourquoi nous raconte-t-on cette histoire?

Premièrement, pour montrer que Jésus est capable de ressusciter les morts. En effet la conclusion parle d’elle-même: « un grand prophète s’est levé parmi nous, et Dieu a visité son peuple » et puis c’est un très grand moyen publicitaire pour sa Mission: “et cette parole se répandit dans toute la Judée et dans les pays voisins”. Il faut bien avoir des “mass media” pour relayer l’information.

Mais bien au delà de toutes ces raisons, il y a bien d’autres raisons. Le choix par exemple de “qui” ressusciter est important. De plus, on se pose la question: pourquoi a-t-il pitié? La réponse est dans l’histoire: la femme est une veuve qui vient de perdre son fils unique, son soutient, sa consolation. Cela ne nous rappelle-t-il pas un événement similaire? A cet instant, Jésus, ne pensait-il pas à sa mère et à ce qui allait se passer pour elle quand elle allait le perdre? Jésus souffre de voir ainsi cette femme, car il pense à sa mère, et à ce qu’elle va humainement éprouver et endurer quand elle le perdra.

Il rappelle aussi que Marie sera très attachée à la foi profonde en Lui, sachant qui Il est et ce dont Il est capable. Si la foule dit: « un grand prophète s’est levé parmi nous, et Dieu a visité son peuple », Marie elle, quand elle perdra son fils, elle ne dira pas cela, elle sait qu’il est Dieu, Dieu lui-même qui visite son peuple, et qu’il a promis de ressusciter.

Ses disciples font route avec Lui. Il leur montre quelque chose d’important, qui devrait leur servir dans le futur, quand ils devront passer par l’épreuve de la Foi et se rassembler autour de l’Eve nouvelle pour retrouver la foi pure.

Jésus-Dieu, ressuscite ce fils par sa propre Force, et cela préfigure ce qu’il va opérer plus tard le jour de la Résurrection: c’est par cette même force qu’il va ressusciter son propre corps. Et puis, nous avons cette description profonde et bouleversante: “Il le rendit à sa Mère”. C’est ce qu’il fait au moment de la Résurrection: en tant que Dieu, il se rend à Marie, avec son Corps Ressuscité. Elle qui l’avait perdu et puis l’a attendu ardemment, luttant terriblement, la voilà qui vient, en tant qu’homme glorifié, victorieux, en ce même corps qui souffrit et mourut.

Le fils ne demande pas à Dieu de le ressusciter. C’est pour la mère qu’il le fit. Il eut pitié d’elle. En un certain sens, c’est la mère qui obtient la résurrection de son fils. De même, pour le Christ, c’est pour Marie qu’il Ressuscite, plus tôt.

Ici c’est le côté humain, compassion, que le Christ a pour sa Mère. Il ne veut pas prolonger sa souffrance. On dit bien que le temps d’attente de la Résurrection a été raccourci à cause de Marie.

Ne pleure pas! Voilà le désir de Dieu pour Marie. Il ne veut pas la voir pleurer.

Maman, ne pleure pas, me voilà !

Dans le texte qui suit – la résurrection du fils de la veuve de Naïn – se manifeste la Force qui ressuscitera Jésus du tombeau. C’est la divinité de Jésus qui parle, c’est l’Esprit Saint qui agit. Certes il nous semble que tout le côté humain de la compassion est l’aspect le plus évident du texte, mais il ne faut pas céder à une lecture purement humaine!

Au centre de ce « miracle », il y a une veuve qui vient de perdre son fils. Certes, dans l’Evangile plus d’une fois le Christ manifeste sa compassion, et il s’émeut face à différentes misères humaines et spirituelles. Nous pourrions penser que seule la compassion humaine meut le Christ, et ce serait réduire sa personne! Nous pourrions aussi penser que dans ce texte c’est uniquement sa compassion pour cette femme qui le meut! Or il me semble que sa rencontre avec cette veuve est une anticipation d’un événement central qui arrivera bien plus tard: Dieu face à Marie, veuve, qui a perdu son Fils. Cette péricope nous offre un aperçu utile et profond sur une question dont l’Evangile garde ordinairement le silence: – que fait Marie après la mort de son Fils?, et – que fait Dieu en réponse aux pleurs de Marie, la veuve qui vient de perdre son jeune Fils ?

« 12 Quand il fut près de la porte de la ville, voilà qu’on portait en terre un mort, un fils unique dont la mère était veuve; et il y avait avec elle une foule considérable de la ville. 13 En la voyant, le Seigneur eut pitié d’elle et lui dit: « Ne pleure pas. » » Porter en terre est le moment le plus dur, le plus aigu de la douleur de la mère. Le fruit de ses entrailles à elle est pris par les entrailles de la terre; mort! La douleur est immense et légitime, surtout qu’il s’agit d’un fils et donc d’un fils qui meurt avant sa mère! Elle reste en vie! Lui est mort! Désormais, la vie quel sens a-t-elle pour elle?

Voir cet événement, cette femme en pleur, elle qui est veuve, ne peut que porter le Christ à un événement futur dont il ne sera témoin qu’en tant que Dieu: voir sa Mère toute en pleurs, juste après sa mort! Ce récit va bien plus loin que la personne de cette veuve de Naïn, il touche Marie et ce qu’elle vivra durant les heures terribles qui vont de 3 heures de l’après-midi vendredi saint jusqu’à ce que Dieu agisse.

Dieu a pitié de Marie, la Femme, l’Eve nouvelle, la Veuve qui vient de perdre son Fils. Dieu s’émeut dans ses profondeurs, dans ses entrailles divines de Compassion. C’est ce que Zacharie chante: « grâce aux sentiments de miséricorde de notre Dieu (« per viscera misericordiae Dei nostri »), dans lesquels nous a visités l’Astre d’en haut, pour illuminer ceux qui demeurent dans les ténèbres et l’ombre de la mort » (Lc 1,78-79). De toute évidence, c’est Marie qui nous rapporte ce passage de Zacharie, gardé en sa mémoire: « Quant à Marie, elle conservait avec soin toutes ces choses, les méditant en son coeur » (Lc 2,19). Oui Dieu a des entrailles (« viscera ») de miséricorde, et elles sont capables de s’émouvoir: « en la voyant, le Seigneur eut pitié d’elle ». Du haut de ce ciel qui semble fermé, durant ces heures du vendredi, et du samedi, Marie pleure, supplie, espère la Résurrection, lutte, se bat. « En la voyant, le Seigneur eut pitié d’elle ». Dieu ne veut pas voir Marie pleurer! Dieu ne peut pas voir Marie pleurer.

Les pleurs de Marie font sortir Dieu de lui-même, ses entrailles de miséricorde s’émeuvent en voyant Marie! Au matin de Pâques Dieu dit à Marie: « ne pleure pas », et Jésus anticipe cet instant solennel, en Ressuscitant le fils de cette veuve! Il se rappelle par avance, selon sa préscience.

Que fait Dieu à l’aube du troisième jour? « s’approchant, il toucha le cercueil, et les porteurs s’arrêtèrent. Et il dit: « Jeune homme, je te le dis, lève-toi. » 15 Et le mort se dressa sur son séant et se mit à parler. Et il le remit à sa mère. » Dieu Ressuscite le Corps du Christ déposé au tombeau. Dieu le Père, par la Force de l’Esprit, ressuscite le Corps du Christ, « et il le remet à sa mère ».

Remarque : Il faut noter que dans la tradition araméenne (les églises syriaque antiochienne et Chaldéenne) cet évangile est lu durant la semaine sainte afin d’aider à mieux comprendre la place de Marie dans l’attente de la Résurrection.

« Il faut noter au passage que la tradition a vu dans le premier récit [celui de la veuve, Lc 7,11-17] une préfiguration de la miséricorde de Dieu pour Marie, quand elle attend la résurrection de son fils. Dans l’Eglise de l’Orient, cette péricope est utilisée le 15 août et le Samedi saint, pour rappeler que Marie l’a méditée afin de se conforter dans l’espérance de la Résurrection. » (Pierre Perrier, « Les colliers évangéliques », Paris, 2015, p. 567).

D’autres veuves qui peuvent nous éclairer sur Marie

« 1 Et il leur disait une parabole sur ce qu’il leur fallait prier sans cesse et ne pas se décourager. 2 « Il y avait dans une ville un juge qui ne craignait pas Dieu et n’avait de considération pour personne. 3 Il y avait aussi dans cette ville une veuve qui venait le trouver, en disant: Rends-moi justice contre mon adversaire! 4 Il s’y refusa longtemps. Après quoi il se dit: J’ai beau ne pas craindre Dieu et n’avoir de considération pour personne, 5 néanmoins, comme cette veuve m’importune, je vais lui rendre justice, pour qu’elle ne vienne pas sans fin me rompre la tête. »

 6 Et le Seigneur dit: « Ecoutez ce que dit ce juge inique. 7 Et Dieu ne ferait pas justice à ses élus qui crient vers lui jour et nuit, tandis qu’il patiente à leur sujet! 8 Je vous dis qu’il leur fera prompte justice. Mais le Fils de l’homme, quand il viendra, trouvera-t-il la foi sur la terre? » » (Lc 18,1-8)

« 1 Levant les yeux, il vit les riches qui mettaient leurs offrandes dans le Trésor. 2 Il vit aussi une veuve indigente qui y mettait deux piécettes, 3 et il dit: « Vraiment, je vous le dis, cette veuve qui est pauvre a mis plus qu’eux tous. 4 Car tous ceux-là ont mis de leur superflu dans les offrandes, mais elle, de son dénuement, a mis tout ce qu’elle avait pour vivre. » » (Lc 21,1-4)

On transportait un mort pour l’enterrer

Marie voit son fils mort. Est présente quand on l’enterre.

Je vous salue Marie Pleine de Grâce, le Seigneur est avec vous, vous êtes bénie entre toutes les femmes et Jésus, le Fruit de vos entrailles, « est transporté mort pour l’enterrer » !

C’est quoi que Dieu voit ? Sa Mère… souffre de voir le fruit de ses entrailles mort, mis dans la terre, dans un tombeau. « Si le grain de blé ne tombe en terre, il ne peut porter de fruit. » Elle doit assister à cette opération de mort. Elle doit être témoin de la Mort du Fruit de ses entrailles ! Quel moment dramatique ! Quel destin terrible ! Et, par la foi, elle devra faire quelque chose, réagir.

Elle reste avec ses images en tête durant 8 + 24 + 4 heures (36 heures).

En faisant cet acte, veut-il nourrir la foi et l’espérance de sa Mère ? Pour que, quand elle devra vivre ces moments terribles, elle se rappelle cet acte de son Fils ? Ce passage est typique de Luc, confident de Marie.

Dieu-incarné se laisse émouvoir, il a pitié. Les « entrailles de miséricorde ».

Dieu-incarné ne veut pas que Eve, sa Mère, souffre. Il veut abréger la souffrance de sa Mère !

Il intervient, abrège, allège, rend le fils à sa Mère.

La Résurrection est aussi et avant tout : rendre le Fils à sa Mère. Elle l’a offert, elle s’en est détachée, elle le voit souffrir, il lui est pris ! Elle le réclame ! Dieu le lui rend !

36 heures de vide, le vide le plus terrible, absence de Dieu, du Fils. La Mère est seule ! Elle doit faire quelque chose pendant qu’elle est seule : elle doit comme l’extraire, le faire sortir du ventre de la Terre. Par sa Foi, par son Espérance tenace, répétée. Elle se rappelle ce jour où Jésus ressuscita le Fils de la veuve ! La Compassion du Fils, de Dieu, ce jour-là ! c’est cela son soutient !

Qui raconte l’histoire ? C’est Marie, via Luc. Luc est le « Scriba mansuetudine Christi ». Pensons aux passages qui sont typiques et uniques à Luc. Nous y trouvons souvent la Trace de Marie…

18- Don Guéranger : Notre Dame au Samedi Saint

« Descendons maintenant dans Jérusalem, et visitons humblement la Mère des douleurs. La nuit aussi a passé sur son cœur affligé ; et les scènes lamentables de la journée n’ont cessé d’assiéger sa mémoire. Le fils de sa tendresse a été foulé sous les pieds des hommes, elle a vu couler son sang par torrents; et maintenant il est dans le tombeau, comme le dernier des mortels ! Que de larmes a versées déjà la fille de David durant ces longues heures ; et son fils ne lui est pas rendu encore ! Près d’elle, Madeleine, toute brisée des secousses qu’elle a ressenties dans les rues de Jérusalem et sur le Calvaire, éclate en sanglots, muette de douleur. Elle aspire au lever du jour suivant pour retourner au tombeau, et revoir les restes de son cher maître. Les autres femmes, moins aimées que Madeleine, mais cependant chères à Jésus, elles qui ont bravé les Juifs et les soldats  pour l’assister jusqu’à la fin, entourent avec discrétion l’inconsolable mère, et songent aussi à soulager leur propre douleur, en allant avec Madeleine lorsque le Sabbat sera écoulé, de poser dans le sépulcre le tribut de leur amour et de leurs parfums.

Jean, le fils d’adoption, le bien-aimé de Jésus, pleure sur le Fils et sur la mère. D’autres apôtres, des disciples, Joseph d’Arimathie, Nicodème, visitent tour à tour cette maison de deuil. Pierre, dans l’humilité de son repentir, n’a pas craint de reparaître aux regards de la Mère de miséricorde. On s’entretient à voix basse du supplice de Jésus, de l’ingratitude de Jérusalem. La sainte Eglise, dans l’Office de cette nuit, nous suggère quelques traits des entretiens de ces hommes qu’une si terrible catastrophe a ébranlés jusqu’au fond de l’âme. « C’est donc ainsi, disent-ils, que meurt le juste, et personne ne s’en émeut! Il a disparu devant l’iniquité; semblable à l’agneau, il n’a pas ouvert la bouche; il a été enlevé au milieu des angoisses ; mais son souvenir est un souvenir de paix (Répons VI° de l’Office de la nuit). »

Ainsi parlent ces hommes fidèles, pendant que les femmes, en proie à leur douleur, songent aux soins des funérailles. La sainteté, la bonté, la puissance, les douleurs et la mort de Jésus, tout est présent à leur pensée ; mais sa résurrection qu’il a annoncée et qui ne doit pas tarder, ne leur revient pas en souvenir. Marie seule vit dans cette attente certaine. L’Esprit-Saint dit de la femme forte : « Durant la nuit, sa lampe ne s’éteint jamais (Pr 31,18) »; cette parole s’accomplit aujourd’hui en la Mère de Jésus. Son cœur ne succombe pas, parce qu’elle sait que bientôt la tombe doit rendre son fils à la vie. La foi de la résurrection du Sauveur, cette foi sans laquelle, comme dit l’Apôtre, notre religion serait vaine (1 Co 15,17), est, pour ainsi dire, concentrée dans l’âme de Marie. La Mère de  la Sagesse conserve ce dépôt précieux; et de même qu’elle a tenu dans ses chastes flancs Celui que le ciel et la terre ne peuvent contenir, ainsi aujourd’hui, par sa croyance ferme et constante aux paroles de son  fils, elle résume en elle-même toute l’Eglise. Sublime journée du Samedi qui, au milieu de toutes ses tristesses, vient encore ajouter aux grandeurs de Marie ! La sainte Eglise en garde à jamais le souvenir; et c’est  pour cela que, désirant consacrer à sa grande Reine un jour spécial chaque semaine, elle  lui a  dédie pour toujours le Samedi. »

19- Le Cri de la Résurrection

Dans la liturgie Byzantine le cri de la Résurrection parle à la Jérusalem, et lui demande de se réjouir. En fait, c’est Marie, résumant toute l’Eglise en Elle, nous portant en Elle, est appelée à se réjouir car elle reçoit le Christ. Le texte: est un hymne du Canon de Pâques de la Resurrection, composé par Saint Jean Damascène (VIIème siècle) :

Resplendis, resplendis, Nouvelle Jérusalem,

car la gloire du Seigneur s’est levée sur toi.

Exulte, Sion, et sois dans l’allégresse

[et] toi, Mère de Dieu Très Pure,

Réjouis-toi, ton Fils est ressuscité !

« Resplendis, Resplendis, Nouvelle Jérusalem », ici s’adresse en fait à Marie,… Marie est la Nouvelle Jérusalem (cf le Rite Copte qui souvent appelle Marie ainsi (cf. la liturgie de la Semaine Sainte).

La nuit de Pâques, nous chantons avec une joie indicible dans le rite Melchite: « L’Ange du Seigneur a dit à la Toute Bénie, o Vierge Pure réjouis-toi… ». Quand on lit bien le texte, on voit que celui qui chante (nous tous) semble passer de la Toute Sainte à la « Nouvelle Jérusalem ». Mais il me semble qu’une des appellations de Marie est « la Jérusalem Nouvelle ». Dans ce cas, nous devons croire que l’Ange ne s’adresse qu’à Marie durant toute cette hymne: il n’y a pas deux personnes: « Marie » et « la Jérusalem Nouvelle », mais une seule personne mystique (Marie portant tous en son sein) vue sous différents aspects (personnel et ecclésial). Et dans ce cas, il ne faudrait pas mettre un « et » dans la dernière partie du chant: « et toi Ô Pure, Ô Mère de Dieu… » car cela voudrait dire que nous parlons à deux personnes.

Ce chant est fondamental lors de la Résurrection célébrée dans le Rite Byzantin.

Il est difficile d’accepter la scission entre Marie et Jérusalem Nouvelle! C’est une seule et même personne: Marie est enceinte de nous tous, et nous porte en Elle (cf. aussi la Femme enceinte de l’Apocalypse). Par la suite, je dirais: Etant la Nouvelle Jérusalem, Marie nous porte tous en Elle, comme une Femme enceinte. Et donc, quand le Christ Ressuscite pour Elle, elle nous porte. Nous devenons ainsi, en Marie, témoins directs de la Résurrection (et non d’apparitions).

Dans le texte Grec dit ceci : «  L’Ange dit à la Vierge pleine de grâce : Réjouis-toi, Vierge Pure, et de nouveau je le répète, réjouis-toi, car ton Fils est Ressuscité du tombeau le troisième jour. Illumine-toi, illumine-toi nouvelle Jérusalem car la gloire du Seigneur a resplendit sur toi. Danse maintenant, et réjouis-toi, Sion toi la pure, exulte Mère de Dieu, dans la résurrection de ton Enfant. » La conjonction « et » n’existe pas dans le Grec.

20- Liturgie du Vendredi et Samedi Saints (Rite Byzantin)

« Te voyant aujourd’hui, Verbe, suspendu à la croix, la Vierge immaculée pleure du fond de ses entrailles de mère, le cœur déchiré… :

– ‘Hélàs ! enfant divin ! Hélas, lumière du monde !… Où est passée la beauté de ta forme (allusion à Isaïe 53) ? Mais hâte-toi de te relever, que je voie moi aussi ta résurrection des morts le troisième jour’ » (3ième et 4ième Stichaire).

« – Mon enfant, guéris la plie de mon âme… Ressuscite… car tu le peux, Seigneur, quand tu le veux, de même que tu t’es volontairement laissé inhumer » (9ième Ode).

21- Les Annonces de la mort et de la résurrection au début de la Passion

Nous pourrions négliger le fait que le Christ n’annonce que par trois fois sa Passion, Mort et Résurrection. Nous pourrions penser que ces trois annonces sont trop séparées du contexte même de la Passion. Or en fait, vu leur importance, le Christ les a reprises juste avant le début de sa Passion, comme pour concentrer l’objet de la Foi de ses Apôtres. Comme prédit et décrit par les Prophètes, le Christ doit souffrir, mourir et ressusciter.

Ces annonces sont fondamentales car c’est sur elles et sur les prophéties dans l’Ancien Testament auxquelles elles se réfèrent que va s’appuyer la Foi de Marie.

De fait, quand nous lisons bien le début du récit de la Passion – par exemple dans l’Evangile de St Matthieu – nous notons facilement que le Christ annonce plusieurs fois sa Passion et même une fois sa Résurrection. Ce qui constitue un rappel plus proche et assez dense (vu la répétition) de ses trois annonces faites durant ses trois ans de mission publique.

26,1-2 : « Et il advint, quand Jésus eut achevé tous ces discours, qu’il dit à ses disciples: « La Pâque, vous le savez, tombe dans deux jours, et le Fils de l’homme va être livré pour être crucifié. » »

26,30-32 : « Après le chant des psaumes, ils partirent pour le mont des Oliviers. Alors Jésus leur dit: « Vous tous, vous allez succomber à cause de moi, cette nuit même. Il est écrit en effet: Je frapperai le pasteur, et les brebis du troupeau seront dispersées. Mais après ma résurrection je vous précéderai en Galilée. » »

26,45-26 : « Alors il vient vers les disciples et leur dit: « Désormais vous pouvez dormir et vous reposer: voici toute proche l’heure où le Fils de l’homme va être livré aux mains des pécheurs. Levez-vous! Allons! Voici tout proche celui qui me livre. » »

L’on ne peut ainsi douter du fait que le Christ prépare l’objet de la Foi (passion mort résurrection)… sur lequel il faudrait se concentrer.

22- Les Prophéties de l’Ancien Testament

« Le fils de l’homme s’en va selon qu’il est écrit de lui » (Mt 26,24). Il y a un fait indéniable dans le Nouveau Testament : la répétition à satiété (surtout dans les Evangiles) que la Passion, Mort et Résurrection du Christ étaient prophétisées, décrites, approfondies par l’Ancien Testament. La seule difficulté – et elle n’est pas des moindres – est que nous n’avons pas les yeux pour voir cela. Du moins les Apôtres ne les avaient pas ! Un voile demeurait devant leurs yeux (cf. St Paul qui parle de ce voile, qui tombe quand on croit (cfr. 2 Co 3,12ss)). Pensons aussi au chapitre 24 de St Luc où le Christ ouvre l’intelligence des Apôtres et explique aux disciples d’Emmaüs dans les Ecritures de l’Ancien Testament ce qui le concernait, en sa Passion, Mort et Résurrection.

Marie n’avait pas ce voile : elle est la Femme, tirée de l’Homme.

La liturgie Copte de la Semaine Sainte (la Grande Semaine) est impressionnante par son trousseau de prophéties tirées de l’Ancien Testament qui nous font voir (par les yeux de la foi, rendus vivants par la participation à la grâce de la Liturgie, actualisant les citations) toute la richesse et l’ampleur du « selon qu’il est écrit de lui ». Si, par la grâce de Dieu nous pouvons désormais « voir » le Christ dans l’Ancien Testament, même dans les passages les plus minimes, n’en devait-il pas être au moins similaire pour le cas de Marie Immaculée ? Elle n’avait pas ce voile qui couvre les yeux et qui empêche de voir le Christ dans l’Ancien Testament.

C’est sur les Paroles de son Fils que s’est appuyée sa Foi durant l’absence du Christ, ceci est évident. Mais ne l’oublions pas non plus, c’est aussi sur toutes les prophéties de l’Ancien Testament qu’elle pouvait voir par la pureté des yeux de son cœur immaculé, qu’elle s’est appuyée durant le moment suprême de l’absence de son Fils.

Nous pourrions reprendre les plus de 400 prophéties vécues durant la liturgie Copte pour entrer dans la vision que la Vierge avait, dans son acte de foi et d’espérance en la Résurrection. Le « il fallait qu’il souffrit » de Lc 24, était bien clair et bien profondément appuyé sur Moïse, les Prophètes et David.

23- « Quand tu seras revenu »

La prise de conscience du rôle de Marie (sa foi et son espérance) dans notre relation personnelle avec le Christ a lieu de différentes manières. Il y en a une profonde et décisive, et qui est en fait une étape bien avancée : c’est le passage de la nuit obscure de l’esprit, c’est à dire la purification la plus profonde. Dans cette nuit, nous passons de notre foi à mode humain, à une foi à mode divin, c’est à dire la foi même de Marie. Ce passage est un apprentissage, l’apprentissage de l’acte de foi pur ! pour la première fois pur ! cet apprentissage est simplement la réception de la foi de Marie, la faisant nôtre. Elle croit pour nous, et nous reconnaissons cela, sous le poids de la révélation intérieure que l’Esprit Saint fait de notre néant. Tout ce que l’on croyait valable en nous s’en va, montre qu’il est incapable de ne rien obtenir, incapable de percer les nuages.

Ayant l’abîme sous nos pieds, entourés de ténèbres, nous apprenons à tenir cette corde sainte qui descend d’en haut et nous invite à s’y accrocher ! rien d’autre n’est stable, sûr, capable de percer les nuages ! cette corde c’est Marie, et nous lui demandons donc (nous activons pour la première fois la foi pure, et nous ne le savons pas) de croire pour nous, d’espérer pour nous, car, à l’étage supérieur (au delà des nuages) voilà Marie dans la gloire unie au Christ, disponible à notre demande, pour croire, espérer et aimer pour nous ! nous le lui demandons, et elle le fait pour nous !

N’est-ce pas cela que sainte Thérèse de l’Enfant Jésus voulait dire quand elle chantait que toutes les vertus de la Mère appartenaient à l’enfant ?! voilà que l’enfant est entrain de recevoir directement – mais mystérieusement, dans l’obscurité divine – la Foi et l’Espérance de sa Mère.

Tout ceci est exprimé par ce va et viens que vivra Pierre. Il sera égaré, il s’appuiera sur sa modalité humaine de suivre le Christ, et voilà qu’il sera laissé à ses propres forces et prétentions, expérimentant de manière amère la vérité de la « nullité » de son mode humain de suivre Christ. Il s’éloigne, il s’égare du chemin.

Mais Pierre, au matin de Pâques, commence à prendre conscience du fait que Marie elle, est non seulement restée fidèle à la Promesse, luttant dans la foi, dans l’attente espérant la réalisation de la Promesse : « je ressusciterais au troisième jour »,  mais aussi que Marie a porté Pierre dans son cœur, a prié pour Lui, a cru et espéré aussi pour lui, afin qu’il puisse accéder au Ressuscité, le rejoindre dans sa Gloire. Cette prise de conscience fondamentale du rôle vital de Marie dans sa propre foi, pousse Pierre à « revenir » vers Elle, source de la Foi dans le Ressuscité ! C’est pour cela que le Seigneur prophétisera à Pierre ce va et viens et annoncera à Pierre qu’il reviendra ! Pierre apprendra quelque chose de la maternité en voyant Marie qui porte les autres, et croit et espère « pour eux » !

« Simon, Simon, voici que Satan vous a réclamés pour vous passer au crible comme le blé. Mais j’ai prié pour toi, afin que ta foi ne défaille pas. Toi donc, quand ce sera l’heure tu reviendras, affermis tes frères. » (Luc 22,31-32)

Le verbe Grecque utilisé (epistrepas : faire revenir, se retourner) est en fait utilisé dans Jacques 5,20 pour signifier la « conversion » ! « sachez-le : celui qui ramène un pécheur du chemin où il s’égarait sauvera son âme de la mort et couvrira une multitude de péchés. » (Jc 5,20)

Ce chemin de retour, cette prise de conscience qui le suggère, ce fait de revenir de là où l’on était à une nouvelle réalité, bien différente, est le cœur de ce que le Christ dit ici.

« en temps voulu, tu reviendras » vers Marie et tu ne la quitteras plus !

24- « La porte étroite », « le chemin resserré »

« étroite est la porte, resserré le chemin qui mènent à la vie, et il y en a peu qui les trouvent. » (Mt 7,14)

Nous attendons la Résurrection en Marie, unique chemin qui y mène. Tous les élus sont enfermés dans le Sein de Marie[16].

Le Christ dit à Pierre : Toi donc, quand ce sera l’heure tu reviendras, affermis tes frères. » (Luc 22,31-32) « quand tu reviendras » (Luc 22,32) vers Marie, quand tu auras trouvé « la Porte étroite » et « le chemin étroit qui mènent à la Vie », à la Résurrection, auprès de Marie « tu comprendras » (Jn 13,7), alors, « confirme tes frères » (Luc 22,32).

« Un grand signe parut dans le ciel: une femme enveloppée du soleil, la lune sous ses pieds, et une couronne de douze étoiles sur sa tête. Elle était enceinte, et elle criait, étant en travail et dans les douleurs de l’enfantement.

Un autre signe parut encore dans le ciel; et voici, c’était un grand dragon rouge, ayant sept têtes et dix cornes, et sur ses têtes sept diadèmes. Sa queue entraînait le tiers des étoiles du ciel, et les jetait sur la terre. Le dragon se tint devant la femme qui allait enfanter, afin de dévorer son enfant, lorsqu’elle aurait enfanté. » (Ap 12,1-4)

Elle attend, elle lutte. Elle s’accroche aux Paroles du Christ: « je ressusciterais au troisième jour ». Elle se bat contre le Menteur qui change les Paroles du Christ. Comme il le fit avec Eve: « ce n’est pas vrai, vous connaîtrez » et vous vivrez (Gn 3,4-5). Menteur et homicide. Il ment pour tuer, déchiqueter du dedans, manger et dévorer entièrement. « Il est homicide dès le début » (Jn 8,44).

Elle, elle couvre de tout son être, de son coeur, la Flamme de la Parole du Grand Dieu: « je ressusciterai »… Comme un vase de grand prix, elle garde en elle la Flamme et la protège.

Autour d’elle, tout dit le contraire. Les disciples éparpillés sont hébétés, les femmes en secret préparent les onguents pour donner à son corps la sépulture qu’il mérite.

Ces vents contraires, ces bourrasques veulent éteindre en elle la Flamme que les Paroles du Christ son fils a dite et répétées, inouïes, folles…. « je ressusciterai ». Elle seule sait qu’il ne peut mentir, il est la Parole Eternelle. Il est la Vérité. Elle est seule contre tous et contre tout.

Tout l’Evangile menace d’être englouti.

Par vague successives, elle couvre et protège cette Flamme au dedans d’elle, coeur de l’Evangile: « je ressusciterai ». Elle crie au dedans d’elle, elle répète ces paroles. Elle s’y accroche. Elle se bat. Sort ses griffes pour tenir bon contre tout. Seule. Seule. Seule l’Eve Nouvelle, notre Mère.

Notre Mère nous enfante dans la douleur.

Merci Maman!

Nous n’étions pas là. Toi tu nous as enfantés. Tu as cru pour chacun de nous. Tu as espéré pour chacun de nous. Tu nous as aimés comme tes propres enfants reçus du Christ au pied de la Croix, tu nous as mis dans ton coeur.

Seule.

Tu as attiré l’Epoux qui repose au cœur de la roche. Tu l’as fait sortir du coeur de la pierre. La puissance de ta Foi!

Ta Foi en Sa Parole.

Il hâte le temps. Attiré par toi, par ta Foi féroce. Par ton Espérance tenace, héroïque, mâle, divinement mâle.

Tu nous as aimés et portés quand nous étions au loin. Tu nous as rassemblés dans ton coeur par ta Charité Divine, nous qui étions encore dispersés..

Merci Maman. Eve nouvelle. Epouse attendant et aspirant l’Epoux.

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Notes

[1] Quatrième Homélie « super missus ».

[2] « Hypostase » fait allusion à la personne du Fils éternel incarné. Théologiquement, on dit que vu que Marie est Mère du Fils Éternel de Dieu incarné, elle est en relation constante avec la Personne du Fils éternel. Elle n’est point un quelconque fidèle ou saint, elle est placée dans l’ordre hypostatique.

[3] Il s’agit d’une carmélite qui désire rester inconnue, a écrit un texte très profond sur la vie mariale de Ste Thérèse d’Avila. (Lire l’étude: « Notre Dame de la compassion et Thérèse »)

[4] Allusion à la vision de l’Enfer que Ste Thérèse d’Avila reçoit.

[5]  Jr 14,17.

[6] Lc 24,27.

[7] Lam 1,1.

[8] Responsabilité provient du latin: res-pondus: porter le poids de la chose. La responsabilité de Marie est en fait de porter le poids de la Parole-Promesse du Christ: je ressusciterais!

[9] Jean veille à mettre sur la bouche de Jésus une telle affirmation (que Lazare est son ami): « Notre ami Lazare repose, leur dit-il; mais je vais aller le réveiller. » (Jn 11,11)

[10] Non que Marie ne soit jamais dans les ténèbres, mais elle participe, par sa Divine Charité aux ténèbres de l’homme, et ce pour l’attirer vers le Christ, pour l’enfanter à la Vie! Comme Mère de chaque être humain, mort, loin de Dieu, elle l’enveloppe de sa miséricorde, et le porte vers Dieu. Elle est cette Matrice Divino-humaine où Dieu nous refaçonne à la Vie Divine. Durant ces heures terribles, heures de ténèbres, Marie, la toute pure, mais aussi la toute charitable est enveloppée de l’extérieur par ces ténèbres menaçante, sa Charité lui fait épouser la réalité de l’être humain et cette absence de son Fils!

[11] Certes ceci apparaît dans le discours eschatologique et non dans la Passion.

[12] « Mais après ma résurrection, je vous précéderai en Galilée. » (Mc 14,28; Mt 26,32) « Mais allez dire à ses disciples et à Pierre, qu’il vous précède en Galilée: c’est là que vous le verrez, comme il vous l’a dit » (Mc 16,7; Mt 28,7)

[13] « Alors, du mont des Oliviers, ils s’en retournèrent à Jérusalem; la distance n’est pas grande: celle d’un chemin de sabbat. Rentrés en ville, ils montèrent à la chambre haute où ils se tenaient habituellement. C’étaient Pierre, Jean, Jacques, André, Philippe et Thomas, Barthélemy et Matthieu, Jacques fils d’Alphée et Simon le Zélote, et Jude fils de Jacques. Tous, d’un même cœur, étaient assidus à la prière avec quelques femmes, dont Marie mère de Jésus, et avec ses frères. » (Ac 1,12-14)

[14] « Alors, au cours d’un repas qu’il partageait avec eux, il leur enjoignit de ne pas s’éloigner de Jérusalem, mais d’y attendre ce que le Père avait promis » (Ac 1,4)

[15] « Simon, Simon, voici que Satan vous a réclamés pour vous cribler comme froment; mais moi j’ai prié pour toi, afin que ta foi ne défaille pas. Toi donc, quand tu seras revenu, affermis tes frères. » (Lc 22,31-32)

[16] « Saint Augustin se surpassant soi même, et tout ce que je viens de dire, dit que tous les prédestinés, pour être conformes à l’image du Fils de Dieu, sont en ce monde cachés dans le sein de la Très Sainte Vierge, où ils sont gardés, nourris, entretenus et agrandis par cette bonne Mère, jusqu’à ce qu’elle ne les enfante à la gloire, après la mort, qui est proprement le jour de leur naissance, comme l’Église appelle la mort des justes. O mystère de grâce inconnu […] » (Montfort, Traité de la vraie dévotion, 33) En fait Montfort juxtapose deux textes de S. Augustin qu’il a probablement tirés de Poiré, relevé dans ses cahiers de note CN75, et Crasset, relevé en CN94.