I- Questions

II- Prolongements

III- Questions pratiques

I – Questions

CB Bonjour Jean ! Cela fait maintenant beaucoup de temps que tu parles de Marie, livres, entretiens, cours, etc… et à te lire, je me rends de plus en plus compte qu’Elle a une place spéciale prête au cœur de notre foi personnelle. Je dis « prête » parce que pour le simple croyant basique, pas du tout mystique ou du moins pas très spirituellement assidu, ce n’est pas si évident de la lui laisser, cette place. Peut-être que nous ne savons pas lui ouvrir assez nos cœurs. Peut-être que nous ne savons pas très bien quelle importance Elle a dans notre quotidien et pas seulement pendant les quelques grandes fêtes qui lui sont consacrées. L’Eglise lui accorde une grande attention, mais nous, membres de l’Eglise, il me semble que nous ne faisons pas assez sens avec Notre Mère. Parle-nous de cette place spéciale de Marie au cœur de notre vie. Spirituelle et quotidienne à la fois.

JK D’abord merci CB pour l’intérêt que tu portes pour la Vierge Marie dans notre vie spirituelle. De fait, sa place est très importante dans notre vie spirituelle, au quotidien. Souvent les saints ont souligné – par mode de confidence – qu’il y avait là une mine à creuser, et qu’une relation profonde avec la Vierge Marie était le secret de la sainteté ! A ce point, quand nous entendons une telle affirmation, nous éprouvons d’instinct le besoin de nous arrêter pour regarder de près ce donné de la Foi chrétienne qui paraît au premier abord surprenant et assez audacieux. Nous ne pouvons reléguer cela au niveau de la dévotion personnelle privée de certains saints, car c’est une constante chez beaucoup parmi eux et surtout les plus grands (Grignon de Montfort, sainte Thérèse de l’Enfant Jésus, Padre Pio etc.). Cela mérite de notre part attention, esprit de recherche et d’approfondissement afin de découvrir ce que nous ne voyons pas, ce que nous ne savons pas !

CB Marie est toute humble. Est-elle humble vis-à-vis de nous, pauvres pécheurs, aussi ? Parle-nous de l’humilité de Marie, Elle qui a des titres pour le moins grandioses : « Reine des cieux », « Reine de tous les saints », « Reine des anges, Mère de Dieu », etc …

JK Tu commences par la chose la plus difficile : parler de l’humilité de Marie ! C’est difficile car c’est à mon sens l’aspect le plus profond en Elle. Elle est un peu comme « Dieu à l’envers », capacité pour recevoir Dieu. Comme un gant est « l’envers » de la main. Mais son humilité est mystérieuse, nous ne pouvons pas la cerner avec notre comprenoir. Je crois qu’il nous faut croître dans la vie spirituelle et dans notre fréquentation de Marie, recevoir « grâce sur grâce » comme dit saint Jean dans son Prologue, pour commencer à entrer dans le mystère de Marie et par conséquent dans le mystère de l’humilité de Marie. C’est un abîme de profondeur, une capacité inouïe de recevoir Dieu, et l’humanité toute entière en Elle. Ce n’est pas pour rien que la tradition orientale appelle Marie : « celle qui a pu contenir en elle Celui que les cieux (c’est à dire les anges) n’ont pas pu contenir » (cfr. L’icône de la Platytéra ou encore la Vierge du Signe). Et le Christ qu’elle contient est à la fois Dieu, Christ Tête et Christ Corps. Qui peut comprendre cette capacité de contenir tout ce « monde » !

Par ailleurs, tu demandes de parler de l’humilité de Marie, et tu soulignes justement ses « titres » de grandeur! J’aime à dire que Marie est un mystère car elle contient en elle deux dimensions – un peu (uniquement analogiquement) comme le Christ est à la fois Dieu et homme – Marie est à la fois grande et petite ! D’un côté elle est la Mère de Dieu, celle qui a engendré Celui qui est Dieu, et de l’autre elle est fille d’Eve, être créé, fille de la terre, humaine. Les deux « extrêmes » du mystère de Marie ne se contredisent point, mais se complètent ! Et choisir un aspect au détriment de l’autre c’est quitter la véritable Marie et son mystère. Si, par le passé, il y a eu un excès dans la mention de ses grandeurs, il n’est pas équilibré de tomber dans l’autre excès, celui de ne mentionner que sa petitesse. Et si nous observons bien sa grandeur et sa petitesse nous verrons qu’elles s’attirent, qu’elles se complètent et ont besoin l’une de l’autre.

Reprenons ce que nous disions de l’humilité de Marie. C’est le mystère de son humilité si profonde et si bouleversante qui a attiré Dieu vers Elle. C’est ce qu’elle dit dans son Magnificat : « il a regardé la bassesse[1] de sa servante ». Elle nous livre ainsi son secret, le secret de son « pouvoir » sur Dieu, son pouvoir de « séduction ». Ceci semble renvoyer à quelque chose qui, à mon sens, a eu lieu avant l’Annonciation. Elle a dû manifester, par son humble charité, une attention si totale et si pleine de miséricorde pour le peuple (pour l’humanité tout entière) qui marchait dans les ténèbres (Is 9), en priant Dieu et en le suppliant d’envoyer son Messie, qu’elle attira Dieu en Elle ! Il a été séduit par son étonnante humilité : sa compassion pour les personnes qui marchaient dans le pays de l’ombre de la mort (Is 9). Ceci est une humilité active, accueillante ! et ce qu’elle accueille en premier lieu c’est la Charité divine en Elle, l’Esprit Saint (Pleine de grâce) ; et cet accueil permet à l’Esprit Saint de faire d’Elle un lieu d’hospitalité étonnant où toute l’humanité est invitée, et, en elle, prie Dieu d’envoyer son Messie. C’est étant séduit par cette action de Marie que Dieu s’élance en Elle : « Il a regardé (il a accordé de l’attention, il a versé sa grâce) quel sens hébreu avons-nous perdu de ce mot ?) la bassesse de sa servante » ! Elle est descendue par sa charité immense, dans le pays de l’ombre de la mort et, solidaire de tous ceux qui marchaient dans l’obscurité, par sa charité, elle pria, supplia et attira ! La charité divine agissante en Marie a attiré Dieu lui-même : les semblables s’attirent et s’attisent l’un l’autre, dans une sorte d’émulation divine de la charité ! Dieu se laisserait-il vaincre en charité ?

CB Sur le Forum AGAPE tu as posté un texte avec comme titre « Le Huitième jour ». Tu y écris: « Ne regarde pas nos péchés (tout acte que l’on poserait, tout moyen autre que Marie que l’on chercherait pour Te rencontrer, Te voir et entrer sous ta Tente, ô Christ) mais la foi de ton Eglise » c’est à dire celle de Marie elle-même! Est-ce à dire que tout ceux qui n’ont pas une dévotion vraie à Marie restent en marge de cette Communion et n’approchent même pas de la montagne de la Transfiguration ?

JK Ce n’est pas à nous humains de dicter à Dieu sa conduite envers les hommes. Nous jugeons sur les apparences et nous ignorons les plis de la conscience humaine, les chemins de chaque personne.

Par contre, d’un point de vue objectif, nous ne pouvons nier le rôle primordial que Marie joue dans la Foi chrétienne ! Si nous suivions de près l’Evangile nous comprendrions jusqu’à quel point tout est suspendu à « Celle qui a cru », à la seule qui a cru ! Saint Luc prend soin de nous présenter deux annonciations en parallèle : une qui ne « fonctionne » point, celle de Zacharie (qui nous représente un peu nous tous, incapables de croire au Salut de Dieu (le Christ)), et celle de Marie qui a fonctionné pour elle-même et pour Zacharie, Elisabeth et nous tous ! Marie va croire pour elle et pour nous tous qui, comme Zacharie, sommes incapables de croire en Christ.

C’est pour cela qu’Elisabeth, mue par l’Esprit Saint, va définir Marie : « Celle qui a cru en ce qui lui a été dit de la part du Très Haut » ! Or son mari, elle-même et nous tous, nous sommes « ceux qui n’ont pas cru en ce qui nous a été dit de la part du Très Haut » ! Nous nous appuyons sur la Foi de Marie, et ainsi sa Foi devient notre foi comme le dit si bien le Pape Jean Paul II dans son Encyclique sur la Vierge Marie. C’est pour cela qu’Elisabeth lui dira : « Tu es bénie parmi toutes les femmes », « femmes » renvoie ici à la capacité de croire, et Marie reprendra avec une audace inouïe : « Toutes les générations me diront bienheureuse ».

Saint Jean à son tour nous montrera dans l’Evangile de Cana en Galilée tant de mystères, et surtout le fait que Marie est à la source de la foi des apôtres ! Eux n’ont pas le Vin, mais elle l’a ! elle croit en Christ et nous apprend à croire en Lui. C’est par elle qu’ils ont eu accès au Vin Nouveau.

De même, dans les récits de la Résurrection, nous déduisons entre les lignes qu’elle est la seule créature à croire en la Résurrection du Christ. C’est un élément décisif qui devrait attirer notre attention, car la Résurrection est le cœur de notre foi !

La Parabole fondamentale de l’Evangile qui fait comprendre toutes les autres paraboles est celle du Semeur ! Or celle-ci parle d’une Bonne Terre, et la liturgie nous rappelle que la « Bonne Terre » est Marie ! Seule la Bonne Terre, dans la parabole, donne des fruits ! Nous autres, nous sommes un mélange des trois premières terres, et nous aimerions être comme la Bonne Terre ! De même pour l’Outre neuve, autre manière de dire Marie !

Or Marie nous est donnée, ses capacités de connaître le Christ, de le croire, et de l’aimer nous sont données ! C’est ce que dira sainte Thérèse de l’Enfant Jésus : « Les vertus de la Mère appartiennent à l’enfant » A nous donc de recevoir Marie chez nous comme le fit saint Jean au pied de la Croix, et de la laisser croître en nous afin de devenir en Elle et par Elle Epouse parfaite du Christ ! Car au bout du compte il n’y a qu’une Vierge sage et non cinq, et c’est Marie, la seule qui a su attendre la Résurrection.

CB Suffit-il d’aimer Marie ? ou bien, sans vraiment comprendre toute sa richesse, passons-nous « à côté » des grâces qu’elle nous tend ?

JK Qu’est-ce que « aimer », aimer vraiment Marie ?! « Aimer » est unir l’amant à l’aimée, aimer transforme celui qui aime en l’être aimé. Oh oui, il serait suffisant d’aimer Marie ! Encore faut-il l’aimer profondément, totalement, non comme un but en soi (seul Dieu est dieu), mais comme le Moule qui forme le Christ en nous et nous dans le Christ. Le Christ sur la Croix nous donne Marie (cfr Jn 19), elle est son Don, elle est son Testament. Il nous la donne comme Mère, comme le sein dans lequel il faut entrer pour renaître à nouveau (cfr Jn 3). C’est le choix de Dieu, pas le nôtre ! Oui aimons-la et que cet amour devienne un incendie immense. Notre vocation est d’acquérir la manière que Marie a de connaître et d’aimer Jésus. Nous sommes appelés à une transformation en Marie, pour pouvoir connaître et aimer Jésus non pas avec nos propres misérables moyens (ceux de l’homme ancien), mais avec ceux de Dieu qui sont en Marie (ceux de l’homme nouveau). C’est en progressant dans le chemin de cet amour de Marie, c’est en la recevant en nous, dans notre cœur, dans nos yeux, que nous comprendrons jour après jour la richesse du Don que Dieu nous fait en nous la donnant. « Avec elle me sont venus tous les biens » (Sg 7,11) dit l’Ecriture. La Tradition nous permet de lire ce texte non seulement à propos de la Sagesse éternelle (Christ) mais de Marie. Et dans cette affirmation étonnante, nous avons un grand secret ! Si c’est « avec elle » que l’on reçoit « tous les biens », toutes les grâces, ceci signifie qu’en elle nous avons trouvé le Puits, le lieu où Dieu a mis tous ses biens ! Jésus est « tous les biens » de Dieu, et c’est en Marie que Jésus se trouve en plénitude et qu’il faut le rechercher – comme l’a si bien expliqué l’Ecole Française de spiritualité, dont Montfort est un héritier.

Pour répondre donc à ta question je dirais que l’amour appelle l’amour et génère croissance spirituelle et ainsi il augmente et devient plus actif, plus explicite aussi, sans rien perdre de sa profondeur mystérique.

CB Parle-nous des Cœur Sacré de Jésus et Cœur Immaculé de Marie. Comment sont-ils unis et quelle importance cela revêt-il pour nous ?

JK En lisant certains auteurs de l’Ecole Française – je pense à saint Jean Eudes – j’étais frappé par le fait qu’ils soulignent combien Jésus et Marie sont unis, combien leurs cœurs le sont. Ils sont inséparables ! Essayons de voir cela de plus près. Nous disons toujours que le Sacrement du mariage est indissoluble car il renvoie à un lien indissoluble, celui du Christ et de l’Eglise ! Curieusement nous pensons rarement à Marie qui normalement précède l’Eglise car elle est sa Mère ! Le Pape Jean-Paul II a dit une chose très profonde à propos du lien entre Marie et l’Eglise : il a dit que le profil Marial de l’Eglise précède le profil Pétrinien (de Pierre, du Pape), et Paul VI, vers la fin du Concile Vat II a déclaré Marie « Mère de l’Eglise ». J’aime à dire qu’avant de parler du lien indissoluble qui relie le Christ à l’Eglise il faut d’abord parler du lien tout aussi indissoluble qui relie le Christ et Marie ! Il l’appelle bien « femme » (cfr. Jn 2 et Jn 19). C’est le Nouvel Adam qui, comme le premier Adam, donne son nom à Eve : femme. Mais la signification profonde de femme (Ishsha en Hébreux, de Ish : homme) c’est Adam qui la donne. En la contemplant voilà ce qu’il voit : « Pour le coup, c’est l’os de mes os et la chair de ma chair! Celle-ci sera appelée « femme », car elle fut tirée de l’homme, celle-ci! » (Gn 2,23) Marie est « os des os du Christ », « chair de sa chair », elle est prise de son côté ouvert, bien avant l’Eglise ! Quand on dit « os de ses os » ou « chair de sa chair » on signifie une intimité, et un lien total. Le Christ, pour signifier le lien qui existe entre lui et Marie utilise différents exemples que nous avons signalés plus haut : terre et semence, outre et vin nouveau, pièce de tissu. Ce qui frappe c’est que si les deux premiers exemples ont une polarité (féminine masculine) le dernier, celui du tissu, n’en a pas ! Il souligne plutôt l’indissolubilité du lien entre Jésus et Marie : nous ne pouvons déchirer une pièce de vêtement neuf : « Personne ne déchire une pièce d’un vêtement neuf pour la rajouter à un vieux vêtement » (Luc 5,36). Jésus en son humanité et Marie sont un seul et même vêtement neuf ! Quel mystère !

C’est ainsi que l’on comprend que sur la Croix le premier être qui sort du côté du Christ n’est point l’Eglise, mais bien Marie. Elle dit bien dans le Magnificat que le Christ est son Dieu sauveur : « mon esprit exulte en Dieu mon sauveur » qui est désormais dans mon cœur par la foi et dans mon sein. Marie pro-vient totalement du Christ, « chair de sa chair » et n’est point un principe parallèle au Christ. C’est dans le côté ouvert du Christ qu’elle trouve sa source !

Cette union entre Jésus et Marie a une qualité : il n’y a point d’obstacle en Marie à l’œuvre de l’Esprit Saint ce qui fait que Dieu en elle agit comme il le veut. Cette unité entre Jésus et Marie est l’unité qui existe entre l’Epoux-Dieu et la créature. Jésus se présente souvent comme l’Epoux, à connaître et à aimer pleinement car il est Dieu. Or cette unité entre Marie et Jésus est le gage de notre unité avec Jésus ! Car c’est en quelque sorte « en Marie » que nous sommes admis à cette unité. Marie a les clefs du Cellier, de la Chambre nuptiale ! elle est aussi la chambre nuptiale. Cette unité est le gage de notre union, elle est la réalisation de notre vocation, c’est cette unité que nous contemplons, car elle est notre futur ! « Cependant, tout comme dans le ciel où elle est déjà glorifiée corps et âme, la Mère de Jésus représente et inaugure l’Eglise en son achèvement dans le siècle futur, de même sur cette terre, en attendant la venue du jour du Seigneur (cf. 2P 3,10 ), elle brille déjà comme un signe d’espérance assurée et de consolation devant le peuple de Dieu en pèlerinage. » (Vatican II, Lumen Gentium 68) C’est dans cette lumière et sous cet angle que nous pouvons comprendre des citations du Catéchisme de l’Eglise catholiques qui sont d’une puissance et d’une profondeur inouïs : (notons la polarité constante dans la foi : objet de la foi : Christ Jésus Dieu. Sujet parfait de la foi : Marie. Marie croit la première.

« La Vierge Marie réalise de la façon la plus parfaite l’obéissance de la foi. » (148) « Aussi bien, l’Eglise vénère-t-elle en Marie la réalisation la plus pure de la foi. » (149) « […] De cette foi, la Vierge Marie est le suprême modèle, elle qui a cru que « rien n’est impossible à Dieu » et qui a pu magnifier le Seigneur: « Le Puissant fit pour moi des merveilles, saint est son Nom ». (273) « Elle est l’orante parfaite, figure de l’Eglise. » (2679) « La prière de l’Eglise est comme portée par la prière de Marie. » (2679) « Par son adhésion entière à la volonté du Père, à l’œuvre rédemptrice de son Fils, à toute motion de l’Esprit Saint, la Vierge Marie est pour l’Eglise le modèle de la foi et de la charité. Par là elle est « membre suréminent et absolument unique de l’Eglise », elle constitue même « la réalisation exemplaire » (« typus ») de l’Eglise. » (967)

CB J’ai une vieille image religieuse sur laquelle sont dessinés St Jean communiant Marie. Comment comprendre la communion, s’agissant de Marie?

JK Si tu le permets, j’aimerais regarder la Communion par un autre angle, en continuité avec ce que nous disions plus haut : Marie est donc la première portion du Corps du Christ et elle est la Mère du Corps du Christ, c’est elle qui l’engendre ! Elle est aussi « chair de sa chair », en unité avec Lui. Quand nous communions au Christ, nous recevons le Christ Total, le Christ Tête et le Christ Corps ! Or Marie est celle qui lui est le plus unie comme nous l’avons vu, et de plus, c’est « en elle » (elle étant de toute façon en lui) que nous sommes appelés à demeurer comme dans le sujet parfait de la foi, celle qui a la meilleure manière de connaître et d’aimer le Christ et qui les communique à nous et nous transforme en elle !

Recevoir la Communion c’est prendre place face à l’Epoux-Roi, comme Epouse, dans son Corps que nous recevons.

La Communion que Marie reçoit des mains de saint Jean, est toute action de grâce, toute Eucharistie, car c’est dans cette « Communion » qu’elle contemple le reflet le plus fort de ses origines : le côté ouvert du Christ. Elle plonge toute pleine de reconnaissance face à son être gratuit qu’elle reçoit de Dieu sur la Croix. Cela dit, qui sommes-nous pour comprendre le mystère de cet accroissement de Grâce que Marie reçoit à chaque Communion, elle qui est déjà « Pleine de Grâce » ! Laissons à Dieu d’être Dieu en Elle et d’agir comme seul Dieu peut agir ! Il nous faut enlever nos « chaussures » (Ex 3,5) pour entrer dans cette Aire divine de la relation entre Jésus et Marie. Elle est le Buisson Ardent, qui arde du Feu de l’Amour pour Jésus ! Elle brûle pleinement du Feu divin, mais ne se consume point.

CB En quoi le culte rendu à Marie est-il important et quelle est sa place dans nos vies, par rapport au culte rendu à Dieu par son Fils Jésus-Christ?

JK Cela peut sembler étrange pour certains, mais l’un est inséparable de l’autre ! Le culte rendu au Christ en Marie est comme l’entrée dans le détail et le développement du culte rendu au Père en Christ. Dieu le Père nous a ouvert sa Maison, la Trinité, en nous donnant place dans son Temple ou dans sa Maison: le Fils. Or le Fils lui-même est Tête et Corps ! Nous sommes appelés à participer à la vie du Christ, à devenir Dieu non par nature – comme Lui – mais « par participation ». Ceci fait que notre place n’est pas dans le Christ Tête mais dans le Christ Corps. Or le Corps du Christ, comme nous venons de le voir, est la Femme, Marie, « chair de sa chair » et « os de ses os » ! Les deux « schémas » sont imbriqués et inséparables ! D’un côté, le Christ est le lieu où nous nous plaçons (le Temple) pour rendre un culte au Père. Il est notre place dans la Trinité ! Et de l’autre côté, il est Dieu, et mérite un culte égal à celui que nous rendons au Père, car il est notre Dieu et notre tout. Ces deux vérités marchent ensemble, mais s’imbriquent en s’harmonisant. Comme le dit saint Jean, les deux lumières dans la Jérusalem Céleste sont le Père et l’Agneau (Ap 21-22). Comme le montre le schéma ci-dessous, les deux schémas n’en sont qu’un seul.

CB Y a-t-il un danger de rendre un culte exagéré à Marie et si oui, comment s’en prémunir ? Comment Marie « sert »-elle au culte rendu à Dieu ?

JK Aimer en vérité Marie, sans limites, ne peut que nous aider à mieux aimer le Christ, car comme le dit Montfort, quand on frappe à la porte de Marie elle dit : Jésus ! Elle n’a d’autre ambition que de mener au Christ, nous le faire connaître et nous apprendre à l’aimer à Lui car il est notre Dieu. Dieu nous offre Marie pour nous éviter les voies lentes et courtes de nos propres moyens pour aller au Christ ! car, nous l’oublions souvent : le fameux « aller directement au Christ » (et donc évite un second médiateur entre Dieu le Père et nous) est une objection aveugle, qui oublie de prendre conscience qu’aller directement au Christ n’est séduisant qu’en apparence, car en fait, nous utilisons nos propres moyens ! Or nos moyens sont bas et nos vues sont courtes ! Nous avons besoin des Mains du Christ pour nous élever à Lui, et ses mains, il nous les donne, c’est Marie. Le Christ ne se révèle pas dans la vallée, il nous invite à monter sur une très haute montagne et c’est là qu’il se révèle tel qu’il est ! Or cette montagne c’est Marie, « chair de sa chair » ! Qui ne mange pas son Corps, qui ne s’assoit pas « en Marie » comment pourra-t-il voir le Christ tel qu’il est ? Ses manières ne seront pas transfigurées en celles de Marie !

Dans ce sens, il n’y a point de limites dans notre amour pour Marie et dans notre désir de nous approcher d’elle, de compter sur sa prière qui nous élève et nous permet de connaître et d’aimer selon la modalité divine. Dans ce sens non seulement il n’y a point de danger, bien au contraire c’est une nécessité vitale comme on le voit ! Marie n’est point facultative !

CB Marie est apparue autant ces dernières décennies que pendant les deux millénaires passés. Ses messages sont plutôt répétitifs, maintenant, comme si l’Homme avait urgence à l’écouter. C’est plus un constat qu’une question, mais je me demande quand même ce que cela signifie.

JK Je reprendrais l’idée développée par Montfort, bien avant cette « prolifération » d’apparitions mariales que nous expérimentons depuis voilà des décennies : il « fallait d’abord faire connaître le Christ car il est Dieu », mais j’ajouterai qu’au fil des siècles, la Révélation que le Christ nous a apportée se développe, s’éclaircit, et ainsi, arrive le temps où les secrets les plus profonds de la sainteté s’explicitent. Et c’est Marie.

Sans vouloir apparaître comme tempérant à l’excès, je pense que l’urgence de connaître le Christ en plénitude – la connaissance de Marie permet à cette urgence de se développer – existe dès la première génération de chrétiens ! C’est à chacun de nous de plonger dans les profondeurs du Don de Dieu pour en découvrir l’urgence, la richesse, la beauté et la nécessité vitale.

Si les messages de Marie semblent « restreints » (ou encore répétitifs) c’est qu’elle n’a pas charge d’enseigner ! Cet enseignement existe bien avant, instauré par le Christ, et c’est à la pastorale ordinaire de le dispenser. Marie ne remplace pas la pastorale ordinaire qui est d’une extraordinaire richesse ! Elle vient rappeler l’Evangile et sa richesse, mais c’est à nous par la suite de nous attacher non pas à ce qui brille, mais aux profondeurs cachées du Don de Dieu et à l’heureuse aventure d’approfondissement qui mène à la sainteté. Je pense au contraire que cette multiplication des apparitions est un signe de faiblesse de la foi de la part du peuple de Dieu. Car, comme je viens de le dire : la densité du message chrétien est infiniment plus grande que le contenu des messages de Marie – ceci ne touche en rien la place de Marie fondamentale dans notre vie spirituelle! Hélas, souvent les dévots des apparitions tendent à y chercher plus la nouveauté ou les prophéties que la substance de l’Evangile.

Cela dit, ces apparitions sont souvent faites pour déclencher l’étincelle de la relation personnelle avec le Christ, ce qui nous fait observer – du moins dans certaines apparitions récentes – un nombre élevé de conversions ! Grâce indéniable. La grande question qui se pose est la suivante : « c’est magnifique la conversion, c’est une grâce inouïe ! Mais après, que faisons-nous ?, est-ce que la pastorale ordinaire réussit à prendre la relève de cette vie spirituelle adulte intense qui vient de se déclencher pour la mener à la sainteté ? »

Je crois que, raisonnablement oui, il y a des raisons pour dire que Marie s’inquiète pour nous et comme toute bonne mère elle cherche à nous éveiller au Don de Dieu et à sa richesse inouïe.

JK J’aimerais revenir sur l’humilité de Marie : La possibilité de s’abaisser par la charité est entre nos mains. « Qui s’abaisse sera élevé. » (Mt 23,12 ; Lc 14,11 ; 18,14) Or Dieu est au plus bas, car il EST la Charité elle-même qui porte tous, pense à tous et prend soin de tous et ne délaisse personne. Il est au fond, à la dernière place. « Quand tu es invité (par Dieu) va à la dernière place » car c’est là que tu trouveras le mieux Dieu. Car Dieu est humble, il est l’humilité même.

S’abaisser par la charité, mu par elle, emporté par elle, est le chemin de la véritable gloire, c’est le chemin le plus court pour atteindre plus pleinement Dieu au fond de nous-mêmes.

Cette descente, mue par la charité, est la Science de Marie. Vouloir s’unir pleinement au Corps du Christ qui se trouve loin de Dieu – « Le Peuple qui marchait dans les ténèbres » (Is 9) – et lui être solidaire et supplier Dieu avec lui en disant : envoies-nous le Messie Sauveur, le Désiré des Nations, c’est imiter Dieu qui est Charité. Et qui imite la Charité de Dieu ne fait que L’attirer toujours plus pleinement en lui, car Dieu ne se laisse jamais vaincre en charité.

C’est ainsi que Marie a séduit Dieu, qu’elle l’a attiré en Elle (« il a regardé l’abaissement de sa servante »). Elle s’est unie à tout le Corps du Christ – « Corps » en puissance et à sauver – qui marchait dans les ténèbres, elle a marché avec lui, elle a supplié humblement. Elle a préféré la lumière de la charité à tout autre fausse lumière ou gloire.

« Le propre de l’Amour, dit sainte Thérèse de l’Enfant Jésus, est de s’abaisser » (cf. Ms A 2v° etc.). Dieu est cet Amour. Dieu est humble, il est l’humilité elle-même. Ce que dit sainte Thérèse de l’Enfant Jésus sur elle-même peut être appliqué pleinement à Marie. Elle commente le « attire-moi nous courrons »  du Cantique des Cantiques (Ct 1,4) et explique vers quel côté il faut courir (vers le haut ou vers le bas ?) en disant : « Je n’ai qu’à jeter les yeux dans le St Évangile, aussitôt je respire les parfums de la vie de Jésus et je sais de quel côté courir… Ce n’est pas à la première place, mais à la dernière que je m’élance, au lieu de m’avancer avec le pharisien, je répète, remplie de confiance, l’humble prière du publicain, mais surtout j’imite la conduite de Madeleine, son étonnante ou plutôt son amoureuse audace qui charme le Cœur de Jésus, séduit le mien. Oui je le sens, quand même j’aurais sur la conscience tous les péchés qui se peuvent commettre, j’irais le cœur brisé de repentir me jeter dans les bras de Jésus, car je sais combien Il chérit l’enfant prodigue qui revient à Lui. Ce n’est pas parce que le bon Dieu, dans sa prévenante miséricorde a préservé mon âme du péché mortel que je m’élève à Lui par la confiance et l’amour. » (fin du Manuscrit C) Notons le « ce n’est pas parce que le bon Dieu, dans sa prévenante miséricorde a préservé mon âme du péché mortel » qui nous renvoie directement à Marie. Le fait que Marie soit pure et immaculée, la rend plus apte aux opérations de l’Amour qui vont par conséquent la faire courir vers la dernière place. Ceci veut dire qu’elle va, mue par l’Amour divin, s’unir à tous les pécheurs et à « tous les péchés qui se peuvent commettre » (« Dieu l’a fait péché » dira saint Paul 2 Co 5,21, lui qui n’a jamais péché) et elle fera comme le Publicain ; en réalité elle fera par anticipation comme le véritable David, Jésus, qui demande pardon au Père pour les péchés qu’il n’a pas commis, s’identifiant aux pécheurs et disant : « pardonne-moi car j’ai péché » (Ps 50). Quel mystère que la Charité Divine, et sa puissance à la fois de rejoindre ceux qui sont au loin et de les élever vers Dieu, de les ramener vers Lui ! C’est le Secret le plus profond de l’Esprit Saint qui sait ce que Dieu le Père veut (cf. Rm 8,27): le salut de tous et la compassion infinie envers ceux qui sont dans les ténèbres.

Suivre ainsi le Chemin de la Charité divine, avec Marie par Marie, avec Jésus par Jésus, nous dévoile les mystères des abaissements de Marie qui ont su séduire et attirer Dieu au point de s’Incarner en elle. « Mon âme exalte le Seigneur et mon esprit exulte en Dieu mon Sauveur, car il a regardé l’abaissement de sa Servante. » (Lc 1) Cet « abaissement » est entre nos mains, nous savons désormais dans quelle direction courir : « Qui s’abaissera [par la Charité divine] sera élevé » (Mt 23,12 ; Lc 14,11 ; 18,14) L’effet principal d’une union à Marie, Eve nouvelle, notre Mère, est donc cette mystérieuse charité qui ne fait que croître en nous pour embrasser le monde entier, et qui nous fait descendre dans les ténèbres de l’ombre de la mort, où marche tout un peuple. Ainsi on pourra dire : « Le peuple qui marchait dans les ténèbres voit une grande Lumière; sur ceux qui habitaient le pays de l’ombre de la mort une Lumière resplendit » (Is 9,1), le Sauveur. C’est par Marie que la Grande Lumière nous est venue, et qu’elle a resplendi sur nous, car Marie a voulu marcher dans les ténèbres, elle a voulu, par sa charité, habiter le pays de l’ombre de la mort et supplier Dieu de nous obtenir le Messie, toute enflammée par la Charité Divine, par le Feu de l’Esprit Saint.

II – Prolongements

CB Dans le Magnificat, Marie dit : … désormais tous les âges me diront bienheureuse. Tous les âges ! … on en est loin, il me semble. Et il me semble aussi que Marie n’a pas dit son dernier mot (façon triviale de parler, bien sûr) et qu’à la Fin des Temps, Elle sera là pour nous aider à passer le cap. Comme elle sera là « à l’heure de notre mort ». Qu’en penses-tu ?

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JK Remarque 1: Il est important de distinguer dans la Bible ce qui est explicite de ce qui est implicite. Certaines personnes disent que la Bible dit explicitement peu de choses sur Marie et par Marie. Ces mêmes personnes oublient-elles que des éléments fondamentaux de notre foi sont exprimés dans la Bible de manière plus implicite qu’explicite: pensons à la Trinité, et aux deux Natures du Christ (Dieu parfait et homme parfait). Et pourtant ces deux mystères forment une partie majeure dans notre foi. C’est pour cela qu’il faut éviter de céder à cet argument trop léger qui ne veut voir dans la Bible que l’explicite. Cela est une grande invitation pour ce qui concerne Marie à entrer dans la Bible par la porte des passages explicites vers des passages plus implicites. Par ailleurs, quand le Christ dit: « Nul ne peut aller au Père sans passer par moi » (Jn) nous sommes capables de mesurer à la fois la dimension explicite et implicite de cette affirmation. Pourquoi ne pas faire de même avec le passage que tu cites: « Désormais tous les âges me diront bienheureuse »?! La Place de Marie dans notre vie chrétienne est simplement incontournable! Elle n’est pas une question de dévotion, mais bien une question vitale de croissance spirituelle. Si Marie nous est présentée par Luc et par Jean comme étant Celle qui est à la racine de notre acte de foi, c’est bien pour dire ce que nous lui devons!

Remarque 2: L’avancée dans le temps de la Grâce permet ce qu’on appelle « le développement » du dogme, qui n’est point l’ajout d’éléments nouveaux, mais une meilleure compréhension, digestion et utilisation des éléments de la foi déjà présents dès la mort du dernier apôtre – date qui marque l’achèvement de la formation de la Révélation chrétienne. Ce développement dans la compréhension des mystères de la foi est bien signalé dans le Catéchisme aux numéros 66-67, 94, 2651 qui méritent d’être lus et médités par tous. L’existence de ce développement nous montre bien, qu’au fil des siècles, l’Esprit Saint nous permet une meilleure pénétration des mystères de la foi.

En intégrant ces deux remarques nous pouvons facilement comprendre que notre intelligence de la place de Marie dans notre vie spirituelle et l’intégration de celle-ci dans notre vie pratique subira de toute façon un développement.

Il est tout aussi évident, sur un tout autre plan, que Marie apparaît bien plus fréquemment, un peu partout dans le monde. Cela dit, entre le phénomène des apparitions et une compréhension profonde, selon la Tradition vivante, de la richesse que Marie apporte réellement à notre vie spirituelle, parfois le chemin est long à parcourir.

CB Marie est-elle co-rédemptrice ?

JK Le terme se prête à au moins deux interprétations dont une seule est orthodoxe! Le suffixe « co » peut vouloir dire: « égale », ou « en participation directe », ou par contre: « en dépendance ». C’est pour éviter toute possible mauvaise interprétation que l’Eglise préfère depuis un peu avant le Concile ne pas l’utiliser. Nous pouvons noter que Jean Paul II, pourtant si Marial, l’a évité en donnant pour titre à son Encyclique: « Mère du Rédempteur », ce qui, à sa manière et paradoxalement, est encore plus puissant. Il a dépassé la polémique pour plonger dans le mystère de Marie. Pour lui, le mystère est incitatif et non dissuasif.

Ceci pourtant veut dire qu’une lecture juste du mot existe. Et pour être juste elle doit tenir fermement le caractère absolu de la Rédemption accomplie par le Christ sur la Croix – seul lui est Dieu et pour cela unique et absolu Médiateur. C’est pour cela que Marie dit du Christ qu’il est son Sauveur (Luc 1)! Marie est non seulement une créature, mais elle est la première des sauvés et elle vit de foi! Ne l’oublions pas!

Cela dit, elle joue un rôle unique dans l’œuvre du salut, et elle n’est point à placer comme une sainte parmi tant d’autres: le Christ, en la Sauvant, fait d’elle « la Mère de tous les Sauvés »! Si l’action de Marie et son rôle sont totalement subordonnés à ceux du Christ les choses ne s’arrêtent point là, le Sauveur fait d’elle « la Mère des Sauvés ». Nous le voyons donner Marie à saint Jean (Jn 19,27). S’il est le Chemin, il nous offre une partie de ce chemin qui est « en Lui »: Marie. Il est bien difficile de séparer Jésus de Marie. Ce que Dieu a uni, que l’homme ne le sépare point!

Marie est la Mère de toute l’Eglise et, en un certain sens, elle est comme sauvée avant l’Eglise, et ce, pour être « Mère de tous les Sauvés », par le Christ et avec le Christ bien sûr.

Le « oui » de Marie est totalement déterminant dans notre Salut et dans notre capacité de poser un acte de foi! Plusieurs fois elle dira « oui » (ses « oui » sont toujours pour elle et pour nous – elle est notre Mère), plusieurs fois elle jouera son rôle de Mère, par le Christ qui habite en Elle en plénitude. Elle dira « oui » pour elle et pour nous à Dieu, devant l’Ange Gabriel!

Et là où personne ne pouvait suivre le Christ (« là où je vais vous ne pouvez me suivre » (Jn 13)) elle a pu le suivre, non pas seulement jusqu’à sa mort mais dans ces heures où elle était seule à Croire et à dire « oui » à la Résurrection: de trois heures de l’après-midi vendredi saint, jusqu’à l’Aube de Dimanche, lors de cette unique et mystérieuse rencontre avec l’Epoux qui revient, remonte. Ce « oui » terrible qu’elle a du répéter des centaines de fois, est un Pont Unique qui passe sur l’Abîme et accompagne le Christ descendu aux enfers, en l’attendant (en l’attirant je dirais) Ressuscité.

J’ose dire: sans ces « oui », sans le Sujet de la foi qu’est Marie (Jésus-Tête est Objet), notre capacité de croire n’aurait jamais pu exister!

Or, Marie, étant « la Femme » (Virago) (Gn 2 et Jn 2 et 19), Ishsha prise de Ish (Vir), elle est vraiment « chair de la chair du Christ » et « os des os du Christ ». Quel Mystère, non pas du Christ et de l’Eglise, mais le mystère qui le fonde: celui du Christ et de Marie, de Ish et Ishsha – mystère que l’on retrouve à chaque ligne du Cantique des Cantiques. Tu noteras que le Christ la nomme « Femme » par deux fois dans l’Evangile de saint Jean, dans une inclusion époustouflante! Or Femme c’est Ishsha (cfr. Gn 2), celle que Dieu cherchait pour Adam, Ish, « l’aide semblable », « chair de sa chair et os de ses os »!

S’il faut tenir bien les distinctions (créateur/créature, sauveur/sauvée, Objet de la foi/sujet de la foi) ceci ne nous empêche pas de pressentir la grandeur du Mystère de Marie et de sa place dans notre vie! Comme le Christ est à la fois Dieu et homme, Marie a elle aussi cette double dimension: elle est d’un côté Grande, Mère du Rédempteur, la Femme, et de l’autre, elle est « petite », c’est à dire: une créature, sauvée, vivant de foi.

CB Dans l’Ave Maria, nous disons : « Vous êtes bénie entre toutes les femmes« . Et soudain, je me demande pourquoi on ne parle pas de toute l’humanité, hommes et femmes. Y a-t-il là encore quelque chose de plus grand à comprendre ?

JK Tu as tout à fait raison de souligner cela. En fait « femme » devrait être pris dans le sens de « sujet de la foi », « terre à féconder par la Semence de la Parole », et dans ce sens très féminin, Marie est à la foi exemple et archétype pour les hommes et pour les femmes! La « féminité » du sujet de la foi est à développer en chacun de nous à l’image et à l’exemple de Marie. Elle est la réalisation parfaite du Sujet de la Foi. Je développe amplement ceci dans la troisième partie de mon livre « La Prière du cœur à l’école de Marie ». D’autres images « féminines » pour signifier le « sujet de la foi » peuvent être trouvées dans l’Ecriture: l’outre neuve, le Buisson ardent, la lune, etc.

De plus, certains auteurs spirituels n’ont pas hésité à dire que l’âme en nous était celle qui enfante Jésus, l’homme nouveau en nous! Dans ce sens nous sommes co-auteurs de notre salut. Dieu, dit saint Augustin, nous a créés sans nous demander notre permission mais ne nous sauvera pas sans la nôtre! Ainsi, nous sommes « mère » de l’homme nouveau en nous et nous le sommes à l’image et en Marie.

C’est pour cela que bien des auteurs spirituels nous invitent à laisser Marie croître en nous, justement afin de pouvoir mieux recevoir le Christ. Marie est le premier Don du Christ pour nous, avec l’Esprit Saint. « Jésus, voyant sa mère, et auprès d’elle le disciple qu’il aimait, dit à sa mère: Femme, voilà ton fils. Puis il dit au disciple: Voilà ta mère. Et, dès ce moment, le disciple la prit chez lui. » (Jn 19,26-27)

CB Comment se fait-il que Marie ait reçu l’Esprit Saint à la Pentecôte, alors qu’elle vivait déjà pleinement de Lui depuis bien avant ?

JK Il n’y a point de limite à la Croissance de la Grâce en Marie et en nous! L’Esprit Saint croît en nous « de commencements en commencements » comme dit saint Grégoire de Nysse.

Cela dit, je penche plus vers une lecture différente mais complémentaire: Marie est « Pleine de Grâce » comme le dit l’Ange, et nous pouvons légitimement penser que Marie, présente au milieu des Apôtres, les portant dans sa Puissantissime prière, intercède pour eux pour la Venue de l’Esprit Saint! Le Christ leur avait demandé de ne pas bouger et d’attendre la Venue de l’Esprit! Or l’attente se fait par la prière, par le Désir, par la Demande. Et y a-t-il plus puissante demande que celle de Marie? N’est-elle pas Mère de l’Eglise naissante, présente à sa Naissance et l’engendrant toujours? N’est-elle pas le Testament vivant du Christ, l’Arche de l’Alliance, le Buisson Ardent, l’Echelle de Jacob?

Je préfère croire qu’elle intercède et qu’elle engendre! Sa mission continue, avec la très jeune Eglise, elle la porte.

CB Dans le groupe de prière que je fréquente parfois, Marie n’est de loin pas délaissée, mais on n’en parle pas du tout comme « moyen » direct vers le Christ. En quoi est-ce dommage ? …. Je le ressens ainsi, d’ailleurs. Comment remédier à cela et est-ce possible sans bouleverser ce qui est en place ?

JK Oui, souvent nous entendons dire: « moi je préfère aller directement au Christ ». Comme si « aller vers Marie » retardait la marche, ou nous détournait du Christ, même pour une fraction de seconde! Or la myopie réside dans une ignorance d’une réalité bien présente en nous; quand nous disons « je préfère aller directement au Christ », en fait nous faisons un choix implicite mais bien clair: nous préférons utiliser nos propres moyens pour aller au Christ! Marie n’est point un but, mais un moyen, un vaisseau, le Sujet de la Foi! Christ en est l’objet! A tout objet il faut un sujet pour l’atteindre; et qui dit « sujet » dit: les moyens propres à ce sujet! Et notre ignorance provient du fait que nous ne nous rendons pas compte que nous optons pour nos propres moyens qui sont bien misérables! Les personnes qui soi-disant préfèrent aller « directement au Christ » ne se rendent point compte qu’ils ont opté pour un chemin très lent et déficient: leurs propres moyens! Pourquoi ne pas prendre le Chemin, le Secret, que le Christ nous donne: Marie! Elle est bien la Femme, le Sujet par excellence, le Moule de tout autre sujet, Celle qui Le connaît et l’aime parfaitement, Celle qui nous offre ses capacités – d’une rapidité et hauteur inouïes – pour atteindre le Christ! Je le redis souvent: nous n’allons pas à la Lune avec un vélo! Pourtant c’est en fait ce qu’implicitement nous faisons quand nous décidons d’aller directement au Christ par nos propres moyens! Il nous faut une fusée pour atteindre la Hauteur, la Profondeur, la Largeur et la Longueur du Christ (Ep 3,18)! Il nous la donne, recevons-La en nous comme le fit saint Jean (Jn 19).

Comment remédier à cela? Il faut avoir l’humilité de ne pas prétendre tout savoir, l’humilité d’accepter le développement de notre intelligence de la foi et accepter d’apprendre quelque chose qui est implicite, et ainsi passer à une compréhension explicite qui mène à une pratique « nouvelle » et plus profonde! Si notre but dans la vie chrétienne est d’atteindre le Christ dans toute sa profondeur, d’atteindre la plénitude de sa stature, il est tout à fait normal d’accepter que notre croissance spirituelle ait lieu par vagues successives!

Lire Montfort[2] est un moment marquant dans notre vie, et cela crée un avant et un après cette lecture. Cela mène aussi à une lecture renouvelée de l’Ecriture, une compréhension toujours plus profonde.

N’oublions pas que « c’est la gloire de Dieu de celer une chose, c’est la gloire des rois de la scruter. » (Pr 25,2) « scrutez les Ecritures », scruter le Mystère de Dieu est notre vocation! S’arrêter en chemin c’est ne pas croître! Connaître la Tradition vivante dans ses éléments est important! La liturgie – élément fondamental de la Tradition vivante – est nourriture de notre foi et il est important de visiter les liturgies orientales qui sont d’une extraordinaire richesse quant à Marie! Elle ne sont pas moins catholiques! Il faut apprendre à respirer avec les deux poumons comme le demandait Jean Paul II, l’oriental et l’occidental! Les fidèles des Eglises orientales sont souvent bien mieux nourris par leur liturgie en ce qui touche Marie.

CB Dans l’Ave, nous disons : Et le fruit de tes entrailles est béni. Dans quelle mesure sommes-nous aussi le fruit des entrailles de Marie ?

JK Revenons à notre compréhension du Christ lui-même! Saint Augustin nous y aide en nous parlant du Christ Total qui est et le Christ-Tête (Jésus de Nazareth, vrai Dieu et vrai homme) et le Christ-Corps! Nous oublions souvent, dans notre vie chrétienne et dans notre vie spirituelle, dans notre vie de prière, de fixer de notre regard le Christ-Corps! Pourtant c’est aussi le Christ et nous ne pouvons séparer ce que Dieu a uni, surtout pas ce lien! Personne ne peut détruire ce lien fondamental qui relie la Tête et le Corps, c’est le lien le plus puissant dira saint Jean Chrysostome! Le Christ, dans Matthieu 25 dit bien: qui aura fait ceci au plus petits des miens le fait à moi! Et à Saul qui persécute l’Eglise, Corps du Christ, il lui dit: pourquoi me persécutes-tu! Nous oublions trop souvent le Christ-Corps!

De même, dans notre compréhension de la relation qui existe entre Marie et le Christ nous oublions que Marie, la Première ne sépare point ce que Dieu a uni, le Christ-Tête et le Christ-Corps et comme elle a enfanté le Christ-Tête, le Christ lui demanda d’enfanter son Corps: « Jésus, voyant sa mère, et auprès d’elle le disciple qu’il aimait, dit à sa mère: Femme, voilà ton fils. Puis il dit au disciple: Voilà ta mère. Et, dès ce moment, le disciple la prit chez lui. » (Jn 19,26-27)

C’est donc que nous sommes vraiment et pleinement les enfants de Marie sur la Croix, et ce, par volonté du Christ. « Fils honore ta Mère » dit l’Ecriture, et c’est aussi le quatrième commandement d’honorer ses parents!

CB Tu dis: « Le Christ sur la Croix nous donne Marie (cfr Jn 19), elle est son Don, elle est son Testament » Cette idée est tellement forte, peux-tu la développer?

JK Il est frappant de voir que chez saint Jean, malgré un long discours du Christ durant la dernière Cène (Jn 13 à 17), le récit de l’institution de l’Eucharistie n’est point mentionné! Chaque personne y trouve une ou plusieurs raisons! Et je suis sûr que beaucoup parmi elles sont justes. Certains disent que pour saint Jean c’est le lavement des pieds qui tient place de l’Eucharistie. Cela dit, les explications de cette absence me laissent sur ma faim!

C’est en reprenant le sens profond de la parole « Femme » utilisée par le Christ pour nommer Marie que je trouve des lumières bouleversantes. Nommer est fondamental! Dieu demande à Adam de nommer les créatures! Mais Dieu est à la recherche d’un être qui puisse être à la fois semblable et une aide pour Adam! Le Christ est le Nouvel Adam dit saint Paul. Et Christ à Cana et à la Croix donne un nom à Marie: Femme! Or la Genèse nous donne une lumière car elle nous explique la provenance du mot « femme ». Quand Dieu ramène la femme à Adam, en la voyant pour la première fois il s’exclame: « Pour le coup, c’est l’os de mes os et la chair de ma chair! Celle-ci sera appelée « femme » car elle fut tirée de l’homme, celle-ci! » » (Gn 2,23) Il y a là des choses très profondes qu’il est presque interdit de dire! Femme en Hébreux se dit: « Ishsha » et Adam, homme, se dit: Ish. Ishsha est prise de Ish, c’est pour cela qu’on l’appelle: Ishsha! Celle qui sort du Côté du Christ en Croix, la première des Sauvés, est bien Marie, chair de sa chair et os de ses os! Il en est le véritable Père (« fille de ton fils » dit Dante).

A la Cène, dans les Synoptiques, nous retrouvons les paroles où le Christ donne sa chair et son sang! Chez saint Jean, le Christ, sur la Croix nous donne la Femme, Ishsha, « chair de sa chair, os de ses os ». Qui peut comprendre, qu’il comprenne! Ici et là il donne son Testament, toute sa richesse, ce qu’il a de plus cher, le seul Vase capable de Le Contenir en plénitude! La liturgie Byzantine dit de Marie qu’elle est Celle qui a pu contenir Celui que les Cieux ne peuvent contenir, elle a son Icône: la Platytéra.

En nous la donnant, il nous donne le Vase qui le contient en plénitude, il nous donne la capacité de le contenir en plénitude! Qui peut comprendre?

J’ajouterais: Marie est la Clef de l’entrée dans le Monde de Dieu, la clef du possible, donnée par Christ. Elle adoucit notre être, par son action elle transforme notre cœur de pierre en cœur de chair, elle l’humanise, le virginise, le rend capable du Christ. C’est elle qui a donné la nature humaine au Christ! Elle est toute pétrie par la Grâce. Dieu est souverain en Elle et tout ce qu’il veut en Elle il le fait. Il n’y a pas en Elle d’obstacles à l’œuvre de Dieu, à sa volonté, à l’Action de l’Esprit Saint. Et en elle, il ne veut faire qu’une seule chose: former le Christ, former le Corps du Christ.

CB Tu disais plus haut que Marie « est un peu comme « Dieu à l’envers », capacité pour recevoir Dieu » que l’humilité de Marie « est un abîme de profondeur, une capacité inouïe de recevoir Dieu, et l’humanité toute entière en Elle. » Pourrais-tu développer cette idée de capacité de recevoir l’humanité toute entière ? le fait qu’elle peut contenir le Christ Tête et Corps.

JK Le Christ prend un exemple très proche de ces « notions » il parle de l’outre ancienne et de l’outre neuve! Cet exemple parle de « capacité », de contenant! Il souhaite que chaque être humain puisse devenir capable de recevoir Dieu, de porter Dieu, d’être transformé en Lui, en plénitude. Saint Paul utilisera d’autres expressions, il dira que le Christ doit croître en nous jusqu’à la plénitude de sa stature! Il dira aussi que nous sommes invités à expérimenter la plénitude de l’Amour du Christ, sa Hauteur, sa Profondeur, sa Longueur et sa Largeur! Donc, tu vois que la notion de « contenir » la Divinité, ou le Christ entier en plénitude existe déjà pour nous! De par notre appel, nous sommes invités à la Divinisation de notre être, à la participation à la Vie Divine, à la Vie de la Trinité, à ses opérations internes et externes. Ceci est inouï, mais c’est la Grandeur même du Don de Dieu pour nous! Dieu ne donne point moins que Dieu lui-même!

Marie, en tant qu’archétype du Sujet de la foi, vit cela en plénitude: elle est l’Outre Neuve par excellence, la Bonne Terre par excellence etc. C’est pour cela, comme le dit le Concile, que les croyants contemplent en Elle la réalisation la plus parfaite de leur propre destinée. En elle nous contemplons la réalisation de toutes les promesses du Christ pour nous. De plus, en tant que Mère qui forme et enfante les Croyants, Marie nous transmet sa propre capacité de connaître et d’aimer le Christ en plénitude.

Quand Dieu crée l’être humain à son Image et à sa Ressemblance, il le fait capable de Lui, capable d’entrer en contact avec Lui, de participer à sa Vie Divine. Quand Adam désobéit à Dieu, les Pères de l’Eglise considèrent qu’il perd la Ressemblance de Dieu. Le Christ vient nous la redonner. Marie, première des Sauvés, est la réalisation parfaite de cette Ressemblance retrouvée. Elle est l’exemple type de ceux qui écoutent la Parole de Dieu (le Christ) et qui la mettent en pratique! Elle est la Bonne Terre capable de recevoir toutes les Semences du Christ, le Christ lui-même, et de les faire fructifier en plénitude.

CB Tu cites sainte Thérèse de l’Enfant Jésus qui dit en parlant de Marie: « Les vertus de la Mère appartiennent à l’enfant ». Une petite explication s’impose tant cette parole n’est pas banale. Renvoie-t-elle à un verset de l’AT : « les parents mangent du raisin vert et les dents des enfants grincent » (cfr. Ez 18,2; Jer 31,29-30).

JK Vraiment non! Même si nous héritons beaucoup de choses de nos parents (biologiquement et autre, par l’éducation etc.), nos choix et notre progrès sont nôtres! Quand nous mourrons, comparaissant devant Dieu, il ne nous dira pas: ton père ou ta mère a péché, et par conséquent tu paies! Il nous dira par contre: voici ce qu’était ton avoir, comment l’as-tu fait fructifier!

Sainte Thérèse, dans cette citation, se place sous ce dernier angle: nous avons un avoir (Marie), comment l’a-t-on fait fructifier? Elle considère Marie comme étant sa Mère au sens spirituel de la maternité. La Mère, dans ce sens, imprègne dans son enfant – toujours au sens spirituel – ses propres vertus, transmet sa propre capacité!

Nous sommes habitués – Thérèse aussi – à considérer la grandeur de Marie, et au lieu de contempler cette grandeur et les qualités inouïes de Marie comme un objet inatteignable, écrasant, elle lève le voile de dessus une vérité importante: sans diminuer la grandeur de Marie, elle nous la rend accessible: elle nous dit solennellement: Marie nous est donnée, ses vertus, ses capacités nous sont données et nous sommes appelés à être transformés en elle, à devenir comme elle pour connaître et aimer le Christ non pas avec notre capacité mais avec celle de Marie! Elle résout ainsi la quadrature du cercle! Nous pouvons donc légitimement aspirer à la hauteur, profondeur, largeur et longueur des capacités de Marie pour connaître et aimer le Christ!

CB Tu dis : « Qu’est-ce que « aimer », aimer vraiment Marie ?! « Aimer » est unir l’amant à l’aimée, aimer transforme celui qui aime en l’être aimé. Oh oui, il serait suffisant d’aimer Marie ! Encore faut-il l’aimer profondément, totalement, non comme un but en soi (seul Dieu est dieu). » Parles-tu ici d’un amour trop EROS, en évacuant AGAPE ?

JK Nous avons deux capacités pour aimer, une érotique et une de charité (agapé). Nous ne pouvons choisir entre les deux, car toutes nos capacités sont appelées à s’investir dans l’Amour de Dieu! Le Premier commandement le crie haut et fort: « Tu aimeras de toutes tes capacités » eros et agapé. L’amour que nous sommes tentés de réserver à notre conjoint est lui aussi et avant tout invité à s’investir dans l’Amour du Christ! Marie, a aimé le Christ son Dieu, de tout son cœur!

Aimer Marie vraiment, c’est laisser sa propre affectivité se purifier et s’élever pour l’aimer en Vérité! Le Christ nous le dit très clairement: Marie est à aimer non pas parce qu’elle est sa Mère, celle qui l’a conçu et allaité, mais parce qu’elle est la Première à avoir écouté Dieu et à avoir mis en pratique sa Parole! Elle a tout gardé, de sa Parole, dans son cœur, et elle a fait fructifier la Parole au maximum.

L’aimer, c’est laisser prévaloir ces mesures et non une affectivité trop basse, laissée à elle-même et enfermée en elle-même! Si quand nous nous tournons vers Marie, nous recherchons avec une intention droite auprès d’elle de l’affection, voulant ainsi combler la soif d’un cœur humain, elle accueillera notre recours à elle, y saisissant tout ce qu’il y a de bon et de droit dans notre intention et tachera de l’élever et de le purifier au fil des jours – bien sûr dans la mesure où nous désirerons croître et nous laisser faire par Elle. De fait, elle veille d’une ferme douceur à ce que nous ne nous attachions point à Elle de manière purement humaine (au sens bas et négatif du terme).

L’amour pour Marie n’est point simple dévotion facultative! L’Amour pour Marie est l’intelligence même du Mystère du Christ et la clef pour un chemin droit pour arriver au cœur du Mystère du Christ. L’amour pour Marie n’est donc point une dévotion facultative, mais une nécessité vitale pour connaître le Christ à la manière de la Bonne Terre, et de l’Outre Neuve!

Plus nous avançons, plus nous nous rendons compte que cet amour devient plus fort – je risque: plus viril – nous comprendrons que si l’on finit par jeter l’eau du bain, on garde le bébé! Comme dira saint Paul: je n’ai plus le Christ de manière humaine! Nous dirons pareil pour Marie.

CB « Marie pro-vient totalement du Christ, « chair de sa chair » et n’est point un principe parallèle au Christ. C’est dans le côté ouvert du Christ qu’elle trouve sa source ! » Ce va et vient incessant dans les Evangiles (les passages de « Marie à la Visitation » et de « Marie à la Croix » sont comme dans un même instant divin) est-il à souligner encore une fois comme quelque chose qui était clair chez les Evangélistes ou alors l’ont-ils mis inspirés par l’Esprit et nous le comprenons par la suite?

JK Je crois qu’autant que possible il faut reconnaître une certaine symbiose entre l’unique Auteur des Ecritures, l’Esprit Saint, et les différents auteurs humains. Dieu n’annule pas le travail de l’Esprit dans l’intelligence et la volonté de chaque auteur sacré (ce serait alors une dictée « divine » exécrable[3]), il fait appel à une maturation qui dure des années et qui décante les mystères. Cela dit, nous ne pouvons pas oublier l’Auteur divin, l’Esprit Saint, qui a tout à fait le droit, tout en inspirant les auteurs sacrés, de cacher des biens et des lumières qui dépassent leurs capacités et nous émerveillent à chaque relecture du même passage! Un même passage est inépuisable, et à chaque fois que nous le relisons dans l’Esprit, Il nous fait découvrir des aspects nouveaux! C’est ce que dit sainte Thérèse de l’Enfant Jésus: « Mais c’est par dessus tout l’Évangile qui m’entretient pendant mes oraisons, en lui je trouve tout ce qui est nécessaire à ma pauvre petite âme. J’y découvre toujours de nouvelles lumières, des sens cachés et mystérieux… »[4] C’est par une longue fréquentation de l’Ecriture, en la priant, que nous trouvons, jour après jour, les dimensions implicites de la Parole de Dieu. C’est ce que les Pères nous ont appris à faire.

Ne nous étonnons point donc de trouver des connexions entre différents passages, différents mystères, des « va et vient ». « La tradition de la prière chrétienne est l’une des formes de croissance de la Tradition de la foi, en particulier par la contemplation et l’étude des croyants qui gardent en leur coeur les événements et les paroles de l’Economie du salut, et par la pénétration profonde des réalités spirituelles dont ils font l’expérience (cf. DV 8 ). » (Catéchisme n° 2651)

C’est par une fréquentation assidue de l’Ecriture que se lève le voile qui cache les profondeurs du mystère de Marie et de sa relation avec le Christ-Tête et le Christ-Corps.

CB « Laissons à Dieu d’être Dieu en Elle et d’agir comme seul Dieu peut agir ! » Dieu reste l’Incréé face à Marie aussi, elle ne peut pas l’appréhender dans sa totalité puisqu’elle est une créée, mais Dieu lui déverse « grâce sur grâce » comme un dévoilement progressif de Lui-même et cela indéfiniment. C’est aussi ce qui attend ceux qui entrent dans le Royaume de Dieu, et c’est ce qui pourrait être dit à ceux qui « craignent » une sorte de repos éternel ennuyeux et qui à cause de cela choisissent d’être athées …

JK L’action de Dieu dans l’humanité du Christ, en Marie et en nous a lieu sur trois niveaux différents: l’esprit (lieu par excellence de la Ressemblance avec Dieu), l’âme consciente, et le corps. L’action de Dieu dans l’esprit est supra-consciente, c’est à dire qu’elle est plus élevée que la conscience, la perception, domaine de l’âme-corps. C’est comme la partie d’une haute montagne qui se situe au-delà des nuages et qui voit le Soleil (Dieu) directement. Cette action est plus proche de l’Infini de Dieu que du fini de l’âme et du corps. Dans ce sens, l’action de Dieu dans l’esprit et sa perception (par écho ou redondance) dans l’âme sont deux choses différentes! C’est pour cela que nous disons que nous vivons de foi, cela fait allusion à cette distinction entre les deux zones de notre être! C’est pour cela que l’âme et le corps vivront et percevront toujours quelque chose de bien moindre (car créé) du Don de Dieu. Par contre, l’esprit a devant lui dressé la Table substantielle de l’être même de Dieu et de ses opérations.

En un certain sens l’esprit embrasse, étreint et est étreint de manière infiniment plus plénière que le composé âme-corps, qui eux, même avec les plus grandes perceptions de « Dieu » restent des réceptacles bien limités quand on les compare avec l’esprit.

C’est pour cela que le Christ signale la nécessité pour l’esprit de renaître de l’Esprit, d’être divinisé et ce, afin d’avoir une relation plénière avec Dieu, dès ici-bas.

Il est important de maintenir ces distinctions afin de ne pas appuyer notre vie spirituelle uniquement sur le perçu dans l’âme et le corps! Ce serait se concentrer sur des miettes, une goute d’eau, et oublier la Table substantielle, et l’Océan de Dieu, qui sont les pâturages de l’esprit[5].

CB Nous sommes créés à l’image et à la ressemblance de Dieu, [nous perdons ensuite la ressemblance par la chute, et ensuite nous la retrouvons par la Rédemption-sanctification] mais seule Marie atteint cette pleine ressemblance. Sommes-nous une sorte de miroir (ce qui est à gauche se voit à droite, quand nous pensons « Royaume de Dieu », nous pensons au « pouvoir » alors qu’il s’agit de « Charité », etc … ), miroir défectueux, même, avec notre humanité qui pense plus à s’élever qu’à courir à la dernière place ? … Et plutôt que de laisser Dieu se mirer en sa création, nous nous complaisons à nous admirer comme dans ce faux miroir ! … Est-il possible de le casser sans s’abîmer ?

JK Dieu est l’humilité même! Marie est la plus humble créature. C’est dans la vallée que l’eau de la pluie s’accumule. « Aller à la dernière place », c’est aller vers Dieu lui-même qui l’occupe. L’homme nouveau comprend cette nouvelle logique du Royaume. C’est l’homme ancien qui se débat, essaie de garder ses droits dans une histoire qui désormais lui échappe de plus en plus. Plus nous nourrissons l’homme nouveau en nous, le Christ et sa Parole, plus nous y accordons toute notre énergie, moins nous nourrissons l’homme ancien! Il dépérit, de lui-même! Nous n’avons pas besoin de le « casser »! Le miroir défectueux est l’homme ancien! Le miroir renouvelé, créé des mains de Dieu, par notre écoute et docilité, est l’homme nouveau. La logique de l’homme ancien est logique de pouvoir, et celle de l’homme nouveau est service. La notion de gloire et de Dieu sont mal comprises par l’homme ancien! C’est pour cela que l’on voulait faire de Jésus un Messie bien humain, avec pouvoir, règne terrestre etc. La première partie de notre cheminement à la suite du Christ est encore humaine, car nos moyens sont encore bien humains (au sens négatif du terme)! Ils n’ont pas été transformés en moyens divins, ceux de Marie, ceux de l’homme nouveau. En disant qu’il ne connaît plus le Christ humainement, saint Paul souligne l’existence chez qui suit le Christ d’au moins deux manières de le suivre: une purement humaine et une divine. D’où l’importance de la prise de conscience qu’il ne suffit pas de suivre le Christ, mais qu’il faut accorder de l’importance à la manière de le suivre! C’est là que Marie intervient, et que l’Esprit Saint commence à travailler en profondeur dans nos racines afin de suivre divinement le Christ-Dieu. Le Passage de la manière humaine à la manière divine de suivre le Christ, quand il est réalisé sous la houlette de Marie a lieu de manière plus efficace et plus douce.

III – Questions pratiques

CB Comment prendre Marie chez soi comme le fit saint Jean (Jn 19)?

JK Introduction: Nous voilà dans les questions pratiquement-pratiques. Le risque parfois c’est de parler bien sur Marie, mais ensuite de ne pas en tirer les conséquences du point de vue pratique! Parfois nous lisons un beau livre sur Marie, et on reste avec la belle impression imprimée dans notre cœur, croyant que c’est inscrit en nous et nous ne nous posons pas la question essentielle et pratique: – bon, comment faire pour que ce que j’ai lu devienne vie réelle en moi? Or c’est cette question qui est décisive, elle permet à la Parole, aux Paroles du Christ de s’incarner en nous et de nous donner vie. Seul qui a l’expérience de ce passage de la Parole du Christ, d’une lecture écoute, à une manducation, digestion-assimilation-vie peut mesurer la différence entre une vie spirituelle riche en illusions, et une vie spirituelle réelle, incarnée, où le Christ devient vraiment en nous intimement vie de notre vie. C’est cela la vraie science.

La recevoir comme notre Mère implique des activités spirituelles comme « la recevoir chez nous », « entrer en Elle », « puiser notre « oui » dans le sien » etc. Expressions qui au fond ont le même contenu spirituel.

La recevoir chez nous. Passons donc à ta question: « comment prendre Marie chez soi, comme le fit saint Jean? (Jn 19) ». Savoir que le Christ nous donne sa Mère comme son trésor le plus précieux c’est une chose, mais savoir la recevoir, comment la recevoir, et que faire pour la garder chez soi, c’est tout autre chose. Nous essayons de comprendre ce que veut dire « prendre chez-soi »! De quel chez-soi est-il question? D’un chez-soi intérieur, du cœur. Nous savons que Marie est le moule que Dieu utilise pour former en nous le Christ. Nous savons aussi que Dieu transforme notre cœur de pierre en cœur de chair (Ez 36).

Entrer en Elle. Nous savons aussi que comme il y a l’expression la prendre chez soi, il y a aussi l’autre expression: « entrer en Elle ». « Comment entrer en elle? » se pose la question Nicodème. Comment, en tant qu’adulte entrer en elle, croître et enfin renaître? « Nicodème lui dit: « Comment un homme peut-il naître, étant vieux? Peut-il une seconde fois entrer dans le sein de sa mère et naître? » » (Jn 3) et aux paroles de Jésus Nicodème répond « Comment cela peut-il se faire? » (Jn 3) Voilà donc tout le mystère de l’Evangile: comment entrer en Marie, pour renaître et être rendu capable de croire? « Jésus lui répondit: « Tu es Maître en Israël, et ces choses-là, tu ne les saisis pas? En vérité, en vérité, je te le dis, nous parlons de ce que nous savons et nous attestons ce que nous avons vu; » (Jn 3,10-11). C’est la seule chose qui compte, c’est l’essence de l’Evangile et voilà que celui qui est maître en Israël ne le sait pas! Marie est la Maison du Père et le Christ nous a préparé en Elle une place. « Dans la Maison de mon Père, il y a de nombreuses demeures; sinon, je vous l’aurais dit; je vais vous préparer une place. Et quand je serai allé et que je vous aurai préparé une place, à nouveau je viendrai et je vous prendrai près de moi, afin que, là où je suis, vous aussi, vous soyez. » (Jn 14,2-3)

Voilà ce que dit Grignon de Montfort: « Saint Augustin se surpassant soi-même, et tout ce que je viens de dire, dit que tous les prédestinés, pour être conformes à l’image du Fils de Dieu, sont en ce monde cachés dans le sein de la Très Sainte Vierge, où ils sont gardés, nourris, entretenus et agrandis par cette bonne Mère, jusqu’à ce qu’elle ne les enfante à la gloire, après la mort, qui est proprement le jour de leur naissance, comme l’Église appelle la mort des justes. O mystère de grâce inconnu aux réprouvés, et peu connu des prédestinés! » (Montfort, Traité de la vraie dévotion, n° 33)[6]

Nous sommes invités à vivre cachés dans le Sein de Marie. Saint Paul dit: « Du moment donc que vous êtes ressuscités avec le Christ, recherchez les choses d’en haut, là où se trouve le Christ, assis à la droite de Dieu. » Marie est dans le Christ, face au Christ, épouse lovée dans le Christ et le Christ en elle. Le Christ et Marie sont « en haut » au Ciel. Tâchons donc d’entrer en Marie. Saint Paul poursuit: « Songez aux choses d’en haut, non à celles de la terre. Car vous êtes morts, et votre vie est désormais cachée avec le Christ en Dieu: quand le Christ sera manifesté, lui qui est votre vie, alors vous aussi vous serez manifestés avec lui pleins de gloire. » (Colossiens 3,1-4) Notre vie est cachée en Marie, lovée dans le Christ.

Puiser notre « oui » dans son « oui ». Voilà encore une notion qui implique le même type d’opération. Nous avons besoin que l’être de Marie passe en nous, ou encore que l’Esprit Saint fasse de notre cœur un cœur semblable au Cœur de Marie, docile, à l’écoute, qui sait faire silence, un silence plein, capable de laisser le Verbe parler en Lui. Nous désirons recevoir la pureté de Marie, sa capacité de mettre Dieu à la première place dans son cœur, dans ses choix.

Pour que ces trois opérations aient lieu, il est important de savoir s’offrir à Marie, mettre notre être en ses Mains en lui demandant de nous façonner à la Ressemblance de son Fils. Ainsi l’Esprit nous purifie, nous divinise et Marie nous humanise, nous rend toujours plus semblables au Christ qui est doux et humble de cœur. La recevoir comme notre mère c’est tout lui donner et puis se donner à elle, entièrement et sans conditions. Se mettre sous son influence, sous sa Direction. Cet acte de toute donner, se fait par la volonté[7], choisissant de le faire. Et le fait de vouloir le faire, de le dire, de choisir volontairement de lui donner les choses, les personnes, les relations, les soucis, et enfin et surtout nous-mêmes, comme un enfant, en simplicité, confiance totale et abandon, cela nous permet d’être sous son influence, et lui permet à elle (lui donne toute la liberté) d’agir en nous comme bon lui semble. On commence ainsi à expérimenter les effets de son action en nous.

Souvent nous portons le souci de bien des choses et ce poids constitue bien des fois un obstacle à notre vie spirituelle, à notre croissance (la gestation en Marie). N’oublions pas que notre croissance spirituelle n’est pas une chose qui se fait automatiquement, bien au contraire, elle dépend de nous et l’usage correct de notre liberté en nous donnant à Marie nous permet de nous mettre sous son influence et d’expérimenter la différence.

Ce qu’il faut comprendre c’est que la Foi de Marie nous est donnée. C’est ce que sainte Thérèse de l’Enfant Jésus dira: « les vertus de la Mère appartiennent à l’enfant » (PN 54). Son Espérance et sa Charité aussi.

CB Comment pratiquement laisser Marie croître en nous?

JK Cette question est fondamentale. Comme nous sommes appelés à avoir une relation avec le Christ, nous avons aussi une relation avec Marie. Au départ, cette relation est plus sensible, plus émotive, plus affective. Dieu nous prend comme nous sommes, Marie aussi. Cela dit, elle nous apprend un certain détachement par rapport à ce qui est ressenti, aux émotions, afin de pouvoir aller plus en profondeur et nous appuyer plus sur Dieu, sur la foi que sur le sensible, le ressenti. Cette relation avec Marie se développe donc et nous apprenons à la connaître et à nous laisser guider par elle. Nous apprenons à lui confier tout ce que nous vivons et à lui confier surtout notre vie spirituelle qui se trouve en elle désormais en état de gestation! Elle nourrit et fait croître en nous le Christ, silencieusement, mais efficacement. Cette relation suppose que l’on passe du temps régulièrement avec elle, pour aller à son Ecole comme dit le Pape Jean Paul II dans sa très belle lettre sur le Rosaire peu de temps avant sa mort. Si le Christ qui est notre Chemin est allé à son Ecole à elle, nous pouvons très bien imiter le Christ et apprendre de Lui. Un des bienfaits fondamentaux de Marie c’est qu’elle nous humanise! Notre cœur dur au départ, incapable de s’ouvrir à nous-mêmes (la patience, l’humilité et la miséricorde envers soi-même) et aux autres, par l’effet de l’action humanisante (incarnante) de Marie, devient de plus en plus « de chair », comme celui du Christ. Nous pensons souvent que la divinisation, la sanctification, l’union à Dieu comme quelque chose de stratosphérique, et nous oublions que dans le Christ demeure la plénitude de la Divinité et qu’il est tout à fait possible de vivre sur terre quelque chose de cette plénitude sans pour autant aspirer vers un Dieu désincarné! Dieu est plus humain que nous et c’est à l’Ecole de Marie que nous l’apprenons! Nous imaginons souvent un Dieu et une logique (un esprit dirait la Bible) désincarné.  Or Marie nous ramène à l’Incarnation et à sa logique, à son esprit! C’est pour cela que Marie est dite victorieuse de toutes les hérésies, car comme le dit saint Jean dans la lettre, la racine de toutes les hérésies est de nier l’Incarnation: « A ceci reconnaissez l’esprit de Dieu: tout esprit qui confesse Jésus Christ venu dans la chair est de Dieu; et tout esprit qui ne confesse pas Jésus n’est pas de Dieu » (1Jn 4,2-3). Voilà donc un aspect fondamental de la formation faite par les soins de Marie! C’est notre Chemin, il n’y en a pas d’autres.

Plus nous avançons, plus nous nous rendons compte que le rôle de Marie dans notre vie spirituelle et humaine (à ne pas séparer) devient fondamental. L’Esprit Saint, nous guide, de mois en mois, d’année en année, nous faisant découvrir toujours des aspects nouveaux en Marie. Notre amour pour elle ne fait que croître et se renforcer. Car ce chemin d’apprentissage du Christ est parsemé d’actes de charité et de fidélité qui nous consolident en Christ. Arrive ensuite le temps de la Grande purification, où Dieu nous demandera de nous appuyer que sur Lui, et c’est en Marie que ce détachement peut avoir lieu car elle est ce Sein qui ne « colle » ni à la terre ni au ciel, mais à Dieu seul et purement. C’est en elle que réside la modalité divine de connaître et d’aimer le Christ que Dieu veut nous donner! C’est en elle que nous pouvons la réaliser le plus parfaitement.

Ceci me fait penser à cette très belle, profonde et théologique comparaison que Montfort fait en disant que Marie est notre moule:  » Remarquez, s’il vous plaît, que je dis que les saints sont moulés en Marie. Il y a une grande différence entre faire une figure en relief, à coups de marteau et de ciseau, et faire une figure en la jetant en moule: les sculpteurs et statuaires travaillent beaucoup à faire les figures dans la première manière, et il leur faut beaucoup de temps: mais à les faire dans la seconde manière, ils travaillent peu et les font en fort peu de temps. Saint Augustin appelle la Sainte Vierge forma Dei: le moule de Dieu: Si formam Dei te appellem, digna existis; le moule propre à former et mouler des dieux.  Celui qui est jeté dans ce moule divin est bientôt formé et moulé en Jésus Christ, et Jésus Christ en lui: à peu de frais et en peu de temps, il deviendra dieu, puisqu’il est jeté dans le même moule qui a formé un Dieu. » (Traité de la Vraie dévotion, 219) Il est toujours bon de relire, de goûter et de s’instruire auprès du Traité de la vraie dévotion de saint Louis Marie Grignon de Montfort. Il est une mine inépuisable.

Apprendre à lâcher, à perdre les appuis spirituels, c’est à dire tout ce qui est spirituel mais qui  n’est pas Dieu, les goûts, les visions, les consolations, la gourmandise spirituelle etc, ceci se fait plus rapidement et plus efficacement en Marie et par Marie. Ainsi sa foi passe en nous, c’est à dire que sa manière de voir, contempler, regarder, et croire passe en nous! ainsi que le dit Jean Paul II dans sa grande Encyclique sur Marie (« Redemptoris Mater »). Sa charité passe en nous aussi, comme la nourriture passe par le cordon ombilical de la mère à l’enfant. Sa manière d’aimer le Christ, et d’aimer le Corps du Christ, pure et détachée, sans appui, passe ainsi en nous. Tandis que nous apprenons à tout lui confier, et à tout lui offrir, inclus nos mérites comme dit Montfort (Traité 121). Elle nous revêt ainsi de ses mérites, et nous entrons ainsi dans la densité de la Nuée divine où seul Dieu habite.

Comme tu le vois, ce chemin est parsemé d’actes où l’on apprend à suivre les indications et conseils de Marie. Et ce sont ces actes qui nous font croître, qui font croître le Christ en nous jusqu’à ce qu’il arrive à la plénitude de sa stature en nous.

CB Y a-t-il des moyens pratiques à utiliser tous les jours?

JK Comme je disais plus haut, il est important de faire deux choses:

1- Lui accorder quotidiennement un temps spécial à Elle (certains disent le Rosaire, cela te donne l’idée du temps à passer). Il est important que ce soit vécu non pas comme une routine, mais comme une rencontre réelle, où l’on s’entretient avec elle. D’ailleurs on ne peut faire n’importe quel exercice spirituel (Messe, Office divin, Lectio divina, Prière du cœur (oraison)) sans elle! Cela n’a pas de sens! Mais un temps spécial passé uniquement et purement avec Elle est important. Si le Christ sur la Croix nous demande de la recevoir chez nous, il est important de réaliser ce Testament du Christ et ainsi passer du temps avec Elle! Qui fait cela gagnera beaucoup. Nous pouvons aussi relire tous les passages des livres sapientiaux (livre de la Sagesse, Proverbes etc.) où il est question de la Sagesse en clef mariale! C’est à dire qu’à chaque fois qu’il est question de la Sagesse que Salomon demande et loue, y voir Marie. Ces textes revêtent alors une puissance et une consolation que seul celui qui en a l’expérience peut comprendre.

2- Durant la journée faire de son mieux pour ne pas la quitter, jusqu’à ce que cela devienne un pli en nous et qu’elle nous soit présente durant la journée, à nos côtés!

CB Que faut-il faire pratiquement pour aimer toujours plus Marie?

JK Si nous pratiquons, avec fidélité tout ce que je viens de dire plus haut, il est certain que notre amour pour Marie augmentera. L’Esprit Saint n’a qu’une seule chose à faire: engendrer le Christ en nous et dans nos frères, le faire croître. Or où a lieu cet engendrement? En Marie! Pourquoi Dieu changerait-il de logique, ou de manière de faire! Et s’il l’a fait pour le Maître, il le fera aussi pour le Disciple. Tout disciple bien formé sera comme son Maître et pas au-dessus de son Maître! Vouloir cheminer avec une autre logique c’est comme se prendre pour supérieurs au Christ!

Que Marie croisse en nous, que notre cœur de pierre devienne un cœur de chair, cœur de Marie en nous, afin d’accueillir le Verbe Incarné comme elle le fit.

Jean Khoury,

Londres,

Septembre-Novembre 2009

 

Notes

[1] Abaissement = position base volontaire, due à la charité de Marie de vouloir accueillir en elle toute l’humanité qui a soif du Dieu Rédempteur.

[2] Malgré l’aspect désuet de la forme et du contenu de certains passages de son « Traité de la vraie dévotion », Montfort véhicule une nourriture géniale et très utile.

[3] « Exécrable » car magique, bave du « diable » (dia-bolon: qui sépare de Dieu) et contraire au dessein de Dieu, à la logique de l’Incarnation qui veut que Dieu se soit incarné pour nous donner des paroles humano-divines qui sont Esprit et Vie, sollicitant ainsi notre intelligence et notre volonté, et offrant ainsi à l’homme la possibilité d’avoir une amitié divine, où l’on est enseigné directement par Dieu (cf. Jn 6,45, 1Jn 2,27, Amos 3,7).

[4] Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus, Manuscrit A 83° v.

[5] A cet égard, il est bon de relire le Chapitre 29 du second livre de la Montée du Carmel. C’est pour cela d’ailleurs que l’on reçoit la Communion à la Messe, qui est bien plus grande que nous, c’est Dieu lui-même que nous recevons, et c’est pour cela aussi que nous prolongeons la Communion par la Prière du cœur. C’est surtout l’esprit qui est nourri durant ces précieux instants.

[6] « Dieu le Saint Esprit veut se former en elle et par elle des élus et il lui dit: In electis meis mitte radices. Jetez, ma bien-aimée et mon Épouse, les racines de toutes vos vertus dans mes élus, afin qu’ils croissent de vertu en vertu et de grâce en grâce. J’ai pris tant de complaisance en vous, lorsque vous viviez sur la terre dans la pratique des plus sublimes vertus, que je désire encore vous trouver sur la terre, sans cesser d’être dans le ciel. Reproduisez-vous pour cet effet dans mes élus: que je voie en eux avec complaisance les racines de votre foi invincible, de votre humilité profonde, de votre mortification universelle, de votre oraison sublime, de votre charité ardente, de votre espérance ferme et de toutes vos vertus. Vous êtes toujours mon Épouse aussi fidèle, aussi pure et aussi féconde que jamais: que votre foi me donne des fidèles; que votre pureté me donne des vierges, que votre fécondité me donne des élus et des temples. » (Traité de la vraie dévotion 34)

[7] « par la volonté », c’est à dire n’attendant pas nécessairement d’avoir certains sentiments ou perceptions sensibles. Il suffit de vouloir de manière déterminée la chose, de le dire intérieurement.


Cet texte se trouve dans le livre ci-dessous:

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Entretiens sur Marie. Dans ces entretiens, Jean Khoury nous aide à rencontrer Marie qui frappe à la porte de notre cœur et de notre intelligence. À nous de l’accueillir dans notre vie quotidienne. En Marie, l’Esprit Saint nous forme à la ressemblance de son Fils. Dans la dernière partie, l’auteur se penche sur le sujet des apparitions mariales reconnues par l’Eglise. Pour acheter: Entretiens sur Marie.